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24 décembre 2007 1 24 /12 /décembre /2007 08:27

Ce soir là, les passionnés sont saisis. L’écoute se fait silence. Sur scène, au « Petit Jazz Club » du coin de la rue des Amants Fous, Gill Smoth suspend chaque note au tempo doux de la Bossa.

Le serveur, habitué des lieux, lui trouve une profondeur exceptionnelle, surtout dans les reprises. Les yeux fermés, Gill accouche littéralement de son impro alors que le batteur, Ray, ralentit insensiblement le rythme sous l’émotion imposée à tout le groupe. Il semble partager ainsi les effets de cette récente révélation dont il est encore si confus.

 

-   « Il est dément, ce soir », glisse un jeune connaisseur à sa compagne, en s’accoudant sur le zinc.  « Il n’a jamais si bien trempé dans ce blues. »

-   « Il est tout à l’intérieur » chuchote le barman qui l’a entendu.

-   « Moi, je l’adore quand il est dans cet état, capable de tout ! » ajoute la gracieuse beauté qui capte leur regard. Arianna Gold, depuis quelque peu absente du lieux !

 

Comme s’il avait surpris leur échange, Gill se donne plus encore à la musique. Il n’a plus que faire de sa vélocité ni de sa technique. Il s’engouffre dans un délire total et la guitare hurle de bonheur sous ses touches affûtées comme une interdite idylle surprise par un orgasme inattendu.

 

Il a ouvert les yeux. Juste un instant ! Chacun crut qu’il se saisissait de l’ambiance générale pour mieux la soumettre, mais il ne vit que la jeune femme, ravissante sous les spots du bar. Arianna ! Celle qui vient de la Louisiane comme le montre sa jolie peau métissée. Son pull moulant et trop court laisse deviner ses petits seins fermes et descendre les yeux sur une guitare tatouée tout près de son nombril entre deux lettres majuscules, G. S.

Gill se souvient l’avoir aimée comme un fou, l’avoir étreinte jusqu’au petit jour. Il se souvient de ses cris, de ses étouffements, de ses pleurs et surtout de sa respiration quand il avait peur de l’avoir poussée jusqu’à un ciel numéro sept sur la partie chaloupée d’une mesure à deux temps. Il posait sa paume sur la douce guitare pour apaiser les humeurs de sa muse.

 

Il serre encore plus l’instrument, reprend la mélodie sur l’octave inférieur et déchaîne les basses. Les compagnons le suivent au plus près et son père, en parfaite synchronie,  s’élance dans le solo de trompette. Pedro Gold Smoth ! C’est un bon ! Un très bon ! A cause de lui, Gill a aimé le jazz, cet art venu de là-bas, de ce là-bas où il n’ira jamais. La trompette de Pedro explose ce soir, dans l’improvisation la plus imprévisible, comme souvent le permettaient les Jam Sessions en Louisiane. Le swing allume les clients. Ils se lèvent en tapant des mains, envoûtés par l’esprit de ce jazz, ce jazz qui fait pleurer. Et Gill, son fils, de reprendre le thème en douceur, effleurant les cordes comme chacun des cheveux d’une partenaire avant l’ultime séparation. Colère et tendresse animent cette partition qui ne cesse de s’achever.

 

-         « Quelle soirée !» avance le barman.

-         « Je n’ai plus de mots ! Quelque chose a transformé l’atmosphère. » reprend l’homme en saisissant la main d’Arianna pour l’emmener vers ses désirs contrastés.

-         « J’aurais voulu embrasser Pedro avant de partir» dit la demoiselle qui le suit à reculons.

 

Gill salue la salle et se réfugie dans la petite pièce qui lui sert d’abri dans le quartier. Combien de fois n’a-t-il pas trinqué ici avec son père, assis sur le lit, parce qu’il n’est pas possible de faire autrement dans cet espace étriqué. Pendant combien de folles nuits n’a-t-il pas aimé sur ce même lit Arianna, réapparue ce soir ?

 

Un coup de feu !

Le secret dévoilé par le batteur eut raison de lui.

« Culpabilité insupportable ! » notera plus tard Arianna, la fille de Pedro.

 

La Louisiane ! Sa sœur ! Son amour ! Sa guitare ! Le blues !

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