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  • : Le blog de topotore
  • : Les mots invitent à leur traduction afin d'entrevoir sur le mode singulier de chacun cet "au-delà de la langue" si étonnant. La poésie illumine cette frontière.
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25 novembre 2012 7 25 /11 /novembre /2012 22:11

Je ne sais si vous voyez la grange, tout près, en contre bas, dans laquelle on a rentré le foin depuis peu. Les grandes portes grises aux bois disjoints restent toujours ouvertes à cause de la rouille qui a soudé les gonds. La charette, sur ses énormes roues cerclées s'est juste fait une place à l'abri en reculant avec force dans le foin. Ses bras alanguis pèsent sur le sol triste que verdissent pas endroit quelques touffes d'herbe audacieuses.

 

Adossée a son pignon nord la remise au chaudron crache, par la petite fenêtre carrée toujours agitée, la fumée du foyer et la vapeur de la potée pour les cochons. La grande marmite noircie pourrait risquer d'engloutir la petite vieille, à y tourner son grand bâton. Elle est tordue comme pour mieux voir le bouillon et les ourlets de son tablier gris reposent sur la pointe de ses sabots? La blouse à petites pois blancs sur fond sombre se soulève sur le dos de ses bas de laine.


Quelques poules rousses picorent à ses pieds les grains de maîs épargnés par le feu. Devant la porte étroite paresse un chien à poils courts dont la chaîne se tend depuis le crochet du mur. Un profond sillon se creuse en arc de cercle fermé par la roche de granit rose et semble marquer son petit territoire jusqu'au portillon du potager. Une vieile écuelle accompagne le seau d'eau dans son immobilité, juste au bord de cette trace. Le soleil ne vient jamais jusqu'au chien pendant les dix mois d'hiver, vaincu par les châtaigners qui s'élèvent au dessus de la grange. Vers vingt heures, en cette fin de septembre, les derniers rayons d'Ouest longent la clôture du jardin jusqu'au sureau qui en marque l'angle et protège la niche. Sur son faîtage, un chat blanc lèche les dernières chaleurs qui éclairent sa silouette, confiant mais vigilant.


Derrière nous, le pas lent du percheron qui termine sa journée, harrassé par la herse qui le suit sur deux roues voilées en acier brillant. Le fils a chaud. Sa casquette bleue trempée depuis son front court, mouille jusqu'à ses oreilles rougies. Il ne sourit pas. Son regard semble compter, à l'intérieur toutes les tâches qui restent à faire avant la soupe de pain au lard. Sept vaches vaillantes à nourrir et à traire, une par une. Cinq gros cochons affamés qui reniflent leur auge en piétinant la boue. Quatre chèvres qu'il faudra retrouver dans la prairie des noyers. Douze lapins qui tappent d'impatience. Les poules que le grain fera rentrer. Les chiens qui japent déjà et les tourterelles. Le vin de demain, un tonneau attend pour se vider en bouteille ! Les fromages qui sèchent dehors et veulent s'abriter pour la nuit. Les oeufs qui risquent leur vie à rester à la convoitise des mulots. Et le cheval. Il faut le dételer, lui parler avec une bonne claque sur la croupe pour qu'il s'avance dans le box à côté des vaches. Il y a aussi le nettoyage de quelques outils, la grande corde à réparer, le bois à rentrer pour le ranger derrière la cuisinière. Après, ce sera le souper avec quelques mots forts échangés entre lui et sa mère, un peu sourde.


La journée ne finit jamais. Il y aura encore les voisins à visiter, dans la ferme mitoyenne pour lui parler du ruisseau et du lavoir que les deux familles partagent. On boira un canon, et sur le coup de onze heure, on décidera d'aller se coucher. Enfin, vers onze heures trente, on se glissera sous l'édredon de plumes, avec les soucis du prochain jour. Pourvu que personne ne tombe malade !

 

Très vite, le sommeil gagne malgré les aboiements. Sans doute, un renard s'approche pour que les chiens se mettent en colère ainsi. Sur les tuiles tintinabulent quelques goutes de pluie. Elles annoncent l'orage de cette nuit. Dédé n'entendra pas vraiment. La vieille maman n'entend plus l'orage depuis longtemps. Elle en a tellement vu ! Mais cette nuit Dédé ne dort pas profondément, malgré sa fatigue. Il est vigilant et quelque chose le tient éveillé. Il cherche la poire de sa lampe, allume et regarde la gros réveil matin. Il ne pleut plus mais il n'est pas encore minuit. Il a oublié de le remonter en se couchant.

 

Dans la cuisine, l'horloge du grand-père sonne un coup. Pas assez pour savoir si c'est l'heure ou la demi-heure. Il se lève pour aller vérifier. Il est deux heures trente. Il peut encore profiter de son lit chaud jusqu'à quatre heures trente, non sans remettre quelques bûches dans la cuisinière. Cela lui fera gagner du temps, de ne pas avoir à la rallumer. Mais le chien attaché hurle à la mort.

 

Il ne se sent pas bien. Dans l'entrebaillement de la porte restée entrouverte pour la chaleur, il tend son oreille. Il cherche le petit souffle de sa mère endormie. Au début de la nuit, elle ronfle de ronflements qui tonnent plus haut que le feu. Mais après minuit, c'est comme une petite flamme qui vascille. La vieille maman n'est plus qu'une bougie. Son souffle est si diminué qu'on ne l'entend presque plus.

Mais cette fois, pas même un petit rien de murmure ne glisse dans l'embrasure de la porte. Dédé s'avance pour s'assurer du silence, pour se rassurer aussi, parce qu'il savait qu'un jour il resterait tout seul. Il savait qu'il devrait vendre la ferme et partir en ville, faire l'ouvrier dans la grande usine et vivre chichement dans un petit appartement.

 

Avec sa mère, c'est toute une vie qui s'en va ! C'est toute la terre qui va souffrir de l'exode des fermiers. Bientôt, il n'y aura plus personne dans les zones rurales. Dédé ne pleure pas. Il souffre. Mais il va faire ce qu'il faut, comme il a toujours fait.

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9 septembre 2010 4 09 /09 /septembre /2010 22:09
Je m'appelle Dimitri.
Je ne sais plus dire mon nom de famille. Ou plutôt, je ne peux même plus le prononcer. Dans les mois qui ont précédé ma fuite, il m'a fallu prendre des décisions impossibles alors que je venais d'avoir dix huit ans.

Mes parents travaillaient dans les services de police et leur zèle ainsi que leur bonne conduite furent très remarqués par un supérieur qui les prit à son service. Je sais maintenant que leur mutation aura bouleversé toute leur vie depuis plus de trois ans, et la mienne puisque je ne les ai plus revus, ainsi que la vie de mes frères et soeurs plus jeunes que moi.

Un oncle dont je ne soupçonnait pas la moindre complicité avec les services secrets m'a une fois téléphoné, peut-être un mois après leur départ. Il me disait que mes parents étaient tenus au secret le plus stricte et que je ne devais plus compter sur eux. Ensuite, il m'annonçait qu'après ce coup de fil je ne devrais plus jamais téléphoner.

Moi, j'avais quinze ans quand ils sont partis. Je ne suis plus allé à l'école et faisait tout pour m'occuper des trois petits dont j'avais tout à coup la charge.

Au début, j'avais trouvé un travail de commis boulanger juste au bout de la rue. Il me fallait me lever à deux heures du matin mais le boulanger me laissait rentrer à la maison de sept à neuf pour lever les petits. Juste le temps de les mener à l'école et je reprenais le travail. Vers les onze heures, ayant fini de nettoyer le fournil, je pouvais retourner à l'appartement. Là, je m'occupais comme le faisait ma mère. Et finalement, mon organisation permettait que tout se passe bien.

Petit à petit, je devenais taciturne. J'avais l'impression que le monde se resserrait autour de moi.

Une fois, le plus petit toussait. J'allai demander au boulanger ce qu'il faut faire mais ses conseils n'ont pas amélioré la toux. J'ai alors cherché dans le bottin le docteur le plus proche et m'y suis rendu car la ligne téléphonique était coupée. Heureusement qu'il habitait dans la rue voisine. Je lui ai présenté le petit dans l'après-midi mais quand je lui ai dit mon nom, le docteur nous a dit qu'il ne pouvait rien faire et gentiment conduits sur le pallier. Sur le moment, je n'ai pas compris sa réaction.

Je me suis alors adressé au pharmacien devant l'officine duquel nous étions passés, pour qu'il nous donne le médicament approprié et quand j'ai payé avec la monaie du fond de ma poche, il m'a remercié et demandé notre nom de famille. Une fois entendu, il nous a prié de ne jamais revenir chez lui.

Moi, je me disais que bientôt je devriendrais boulanger à mon tour, comme le patron. Alors je faisais des efforts. Mais un matin, la boulangère a servi un gros pain à un  Monsieur très bien qui n'a pas payé. Je l'ai vu depuis l'arrière boutique. Elle a même fait signe qu'il lui était très agréable de le lui donner.
Le Monsieur avait un pardessus très long, comme un imperméable, et son chapeau me rappelait celui de mon père, le dernier jour où je l'ai vu partir. Il m'avait juste fait la bise et dit : soit courageux mon petit ! C'est avec beaucoup d'efforts qu'on devient un homme !" J'ai gardé ces mots comme un trésor dans mon coeur.

Mais, maintenant, ce trésor me consume de l'intérieur. En France où j'ai réussi à pénétrer, je me cache et j'ai peur de devoir un jour présenter mes papiers. Je les ai toujours dans une pochette sur ma poitrine. C'est là que je sens des larmes, des larmes qui perlent sans arrêt, une pour ma petite soeur dont je ne sais plus rien depuis que des gens de Croatie l'ont prise en charge. J'ai peur qu'ils lui fassent du mal. Ici, à la porte des Lilas, je vois plein de jeunes filles qui sont abusées, humiliées, traînées jusqu'aux enfers de la prostitution. Une larme donc pour Katherina ! Une pour Vladimir qui, j'espère, a pu s'en sortir. Lui, il s'était engagé dans l'armée, mais depuis la réunification des deux Allemagnes, je ne sais plus rien. Une larme pour lui ! Et puis, une pour Boris, le plus petit que j'ai laissé tout seul, quand nous avons quitté le petit appartement en donnant les clefs au propriétaire. Lui aussi, il avait un chapeau et une grande gabardine. Il avait été très doux mais très ferme. "Pour le loyer impayé, ne t'inquiètes  pas ! Jusqu'à tes dix huit ans, c'est le boulanger qui avance les sous. Après, tu rembourseras, à ton rythme.
Donc, trois larmes, et encore trois larmes dans mon coeur parce que je ne pleure plus depuis longtemps. Quand la boulangère avait donné le gros pain, j'avais préssenti un virage dans ma vie. Le lendemain, le patron me demandait de ne plus venir. '"C'est à cause de ton nom de famille ! Tes parents ont fait quelque chose qu'il ne fallait pas faire !" Alors, à seize ans, je décidais de ne plus jamais dire mon nom. Je me nomme Dimitri, c'est tout ! Et bien vite, mes petits frères et soeurs adoptaient cette même consigne.

Je ne sais pas comment nous avons vécu ces deux années. Les enfants n'allaient plus à l'école. Ca leur était interdit. Le pharmacien ne nous recevait plus. Le boulanger me donnait un pain en cachette toutes les semaines. Il le déposait la nuit sur le couvercle de la poubelle avant que les travailleurs de la voirie ne la vident. Mes frères et moi, c'était chaque nuit le moment de nos escapades pour aller chercher de quoi manger. Nous devions aussi aller chercher l'eau de la fontaine parce que les robinets n'en fournissaient plus, dans l'appartement. Nous n'avions d'ailleurs ni gaz ni éléctricité. Très vite, j'avais enseigné aux petits qu'il fallait se débrouiller tout  seul sans jamais dire son nom. Heureusement, Berlin était une grande ville où nous pouvions nous débrouiller dans le plus grand des anonymats.

Quand le mur est tombé, nous avons fait des amis. C'était une nuit formidable. Pour mes dix huit ans, j'ai tappé sur le mur avec une lourde masse et j'avais l'impression de vanger toute ma vie d'adolescent. C'était bien la Stazi qui me l'avait volée.

Maintenant, à la porte des Lilas, je survis en travaillant dans le bâtiment. Mais nul n'a jamais entendu mon nom. Ca, je ne le souhaite à personne. Etre sans nom, c'est être handicapé. Ressentir ce remords d'avoir abandonné les siens, c'est une blessure incessante et non guérissable.

Hier, j'ai cru apercevoir le Monsieur de la boulangère ! J'ai eu si peur que j'ai couru toute la nuit. Des vieux réflexes comme celui là, j'en retrouve chaque jour. Je ne le souhaite à personne.
Dimitri. C'est tout !





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15 novembre 2009 7 15 /11 /novembre /2009 23:25

 

N’hésitez pas, si vous passer dans les Bouches du Doux, par ce mystérieux village d’Entresseins, à visiter la droguerie de Madame Claude, Kalinka de son joli prénom, où se présente à tous les rayons ce dont vous rêver de consommer. Oh ! Rassurez-vous ! Rien n’est gratuit dans ce domaine, mais vous n’aurez rien à payer. Les délicieux objets proposés par Kalinka en font la renommée jusqu’au bout du Transsibérien. Laissez-vous séduire et goûter ces minutes d’imaginaire reposant avec lesquelles vous aller danser le mambo.

 

Toute indication sur la qualité des marchandises se décline à la main sur de belles pages calligraphiées par Kalinka, passionnée tout autant par ses découvertes que par leur présentation. La variété des encres dans leur couleur et leur tracé s’harmonise avec le contenu des objets au point que chacun en saisit la fragrance comme emporté par le rêve du voyage qui s’inaugure.

 

Sur la première étagère tapissée de fine dentelles blanches, quelques flacons de verre emplis de petits bonbons colorés laissent pendre sur leur col comme des écharpes de papier maïs où se lisent leurs noms. « Touche de préliminaire. Pointe de tendresse. Miel d’abandon. Prélude en caresses. Note de patience. Soupir d’étreinte. Lèvres offertes. Muscat de baiser.» Autant de douces sucreries que conseille Kalinka pour éveiller l’appétit. Elle présente souvent cette étagère comme un cocktail de mise en bouche, et prend soin de préciser que chaque pastille se déguste lentement dans un cérémonial d’ouverture où le partage des promesses affûte le désir.

Sur un pan de mur décoré de grands dessins d’enfants, les rayonnages permettent l’exposition de grandes boîtes enrubannées sur lesquelles s’accrochent les étiquettes finement découpées. Leur lecture pousse aux rêves les plus fous. Il convient de les lire avec modération. La plus grande contient des amours passionnées, roulées en langues chocolatées, fourrées de pépites taquines. Sa voisine, d’un bleu profond peine à retenir des amours folles sur nougatine au miel de soucis, arrosées de liqueur de propolis. Nul n’échappe a cette étiquette rouge : noix de cajolines au lait tendre de baiser, truffées de fraîches pensées. Comment passer à côté de la suivante ? Cire de contact pour caresses enhardies, aux parfums d'ambre, de jasmin, ou de coriandre. Bien sûr, la dernière interpelle : berlingot de folie sur velouté parfumé au zest d’amant amen. Kalinka, sûrement susurrera ici tout doucement que des petits cadeaux surprises se cachent dans chacune des boîtes. Dans l’une cette petite fiole d’amour à pulvériser, ailleurs le tube de griserie fiévreuse, ou encore le pot d’amour renversé en crème de félicité. Une fois même, on pouvait trouver la gazette des pulsations avec son CD de musique aphrodisiaque. Il peut y avoir aussi le chewing-gum aux extraits de gingembre affolant et ces bêtises au suc d’effeuillage frénétique.

Ne partez pas sans avoir apprécié les bocaux d’amour à l’argile verte, ceux de respect profond aux huiles essentielles des baies de la Réunion, ou aussi les perles de petits plaisirs éphémères, les colliers de sourires en bijoux d’émail, les contractions de mots doux et les zooms de délicatesse, les assemblages de sensations et le château des promesses dont Kalinka dit parfois qu’il est la réplique même de ceux qu’on peut trouver en Espagne.

 

Reprenez alors votre souffle et dites à votre partenaire bien aimée que cette lune de miel s’illumine juste avant leur retour et qu’il ne sera plus jamais question de mettre en boîte son être adoré.

 

 

 

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20 septembre 2009 7 20 /09 /septembre /2009 22:54

 

 Construire un récit avec des mots relatifs à la mer dont la première lettre suit l'ordre de l'alphabet.

 

 

 

A peine avions-nous terminé notre pastis que les amarres se sont rompues. Quatre rondelles de saucisson s’échappaient de l’assiette creuse et, rouges de leur fugue, roulaient jusqu’à l’eau couleur de jade sombre. Nous avons souri et relaterons souvent ce petit détail en racontant notre histoire romancée.

Pourtant, une bourrasque nous avait bien alertés. Mais les creux qui suivirent  emportèrent le cordage en déchirant la toile de poupe, un grand drapeau français, tendue pour notre intimité contre les regards indiscrets des touristes. Emportés jusqu’au milieu du port par les crêtes qui nous soulevaient, flottant et ballotant comme un frêle esquif à la dérive, mouillés du grain  des embruns qui hurlaient leurs cris iodés et écumants, nous jetions la table et ses effets pour faire de la place, coiffions nos képis blancs, acceptions l’ordre des choses et larguions... notre frousse, mais fiers et aussi droits que possible, bien qu’un peu éméchés.

L’un, au mât de misaine, deux autres au grand mât, le dernier à la barre pour éviter le naufrage ! Les gris de l’atmosphère s’accordaient aux gris dans nos têtes.

Le barreur avait pris les commandes. Un des rares officiers de la légion à aimer la voile ! Le plus souvent, ils aiment plutôt le voile, ou même les voiles.

Nous évitâmes de justesse la bôme qui empanna brutalement et, de justesse aussi, le pointu vert tendre qui rentrait sagement au moteur. Dans l’urgence  nous retrouvions nos esprits, tout comme le barreur qui choisit un cap, un vrai cap vers la sortie. Un petit travers nous aidait à prendre la passe en son milieu et les déferlantes sous un bon angle, du moins selon son point de vue.

Admirable ! A la barre, un chef ! Nous reprenions un ris, prenions de la vitesse, mais aussi une gîte plutôt inquiétante sur babord.

 

 Le capitaine en voulait. Les winchs commencèrent à user nos muscles. Le petit Xenakis, fier de ses dix huit pieds comme de ses peintures bleu de Prusse et blanc laiteux, semblait hurler sur des flots outre-mer de plus en plus rugueux et bleu-noirs.

 

Le capitaine accompagnait les plongées profondes de la proue par des youh  peu rassurants. Mais s’il se montrait efficace à la barre, pour ce qui était de la météo, il devait encore beaucoup apprendre.

Quand le remorqueur fut arrivé sur zone, du gris, nous étions passés au blanc, plus blanc que nos képis. Nos corps musclés fondaient comme des cierges chauds. Le soleil, sûrement au Zénith, se cachait sous d’épais cumulus noirs qui nous tassaient dans l’ombre. Le grand mât s’était arraché et nous dérivions sous les assauts de brisants déchaînés. Encore un peu et nous prenions le large pour toujours si nous avions dépassé l’Ile Verte !

 

De retour à Aubagne, en souvenir de notre histoire, nous avons vite pris l’habitude d’inviter nos amis à boire le pastis en précisant : mais, rassurez-vous, le saucisson, oui, le Xenakis, non.

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10 septembre 2009 4 10 /09 /septembre /2009 17:06

 

- Salut ! J'ai reçu le petit livret hier ! Il nous permet de commencer le boulot ! Mais si le scénario me paraît facile à retenir, les notes écrites dans la marge le sont moins !

 

-  Fais voir ! Me dit Cécile en piétinant.

 

- Tiens, là, regarde. "Henri et Paul doivent être séparés de trois mètres et demi." Et là ! "Paul aura le pied droit en avant, mais sans tourner le dos au public ! Cécile le bade !"

 

- (...)

 

- Et ici ! "Une petite marque blanche sera faite sur les planches pour que Jules s'y arrête et soit ainsi visible de plus de la moitié des spectateurs."... C'est incroyable. Pas une seule page de ce  livret qui soit vierge d'annotation marginale.

 

- Oh ! C'est bien dit ! Et la suite ? Her Professor  ?

 

- Cécile ! Tu me taquines mais je vais te donner une suite. Ce sont les annotations d'un metteur en scène dont l'absence sera vécue comme une présence redoutable. En page sept, il écrit : "méfiez-vous : la notation en marge ainsi que les notes de bas de page sont aussi importantes que les textes, sinon plus. En effet, mes notes représentent l’œil que je développe pour que la pièce puisse être vécue au plus près de mon imaginaire. Avec une Sylvia (Cécile) flamboyante, pulpeuse, désirable, pleine d’esprit, charmante jusqu’à l’envoûtement, et dangereuse comme une araignée qui pré-digère sa proie par ses sucs empoisonnés.  "

 

- J'aurais préféré qu'il soit là pour nous aider à monter ce spectacle. L’absence encombre plus encore que la présence. En plus, de toutes les manières de n'être pas là, lui a choisi la pire ! Celle qui oblige chacun de nous à le faire vivre plus encore que s'il était présent. Avec ces notes, il nous contraint à lui donner chair ! Et moi, je dois me résoudre à lui injecter mes sucs destructeurs pour digérer son absence alors qu’il n’est pas dans ma toile.

 

Paul place une main sur sa hanche. L’autre main cache le livret dans son dos.

- C’est ton rôle ! Il est vraiment doué. Tout absent qu’il est, il te fait découvrir ton rôle !

 

- D'ailleurs, il y a déjà six minutes que nous ne parlons que de lui ! Provoque Cécile. Et je sens que mes hormones sont déjà au travail pour la confection de mes sucs vénéneux !

 

- Que veux-tu ? La marge est toujours assez grande pour y laisser ce qui encombre. Elle devrait servir à y loger ce qui doit enrichir le menu. Dans le cas de ce livret, le menu s'est fait si petit qu'il se pourrait bien que la marge le remplace ! C’est renversant ! Mais les bords de la toile que tu tisses sont encore plus dangereux que son centre. Et le menu, le vrai, c’est peut-être lui ! Et toi, l’araignée ! Ou l’inverse ! Tu es prise dans sa toile !

 

- Eh ! Voilà une riche idée ! Acceptons entre nous, pour travailler cette pièce, que le dialogue ne soit que dans la marge. Il est moins important que la mise en scène et que tout le reste, ce qui rend notre metteur en scène si présent. Cécile lève les yeux vers le plafond. Disons que c’est finalement la structure même du spectacle. De cette manière, nous ne réfléchirons plus sur ce qu'est la marge ou sur ce qu'elle n'est pas. L’important pour la toile c’est que les points d’attache ne cèdent pas.

 

- Le théâtre n'est-il pas le jeu dans la marge entre cour et jardin ? Je note la question en bas de la page ! Je note aussi que peut-être tu es amoureuse de lui. La façon dont tu en parles ! On pourrait croire que tu vas le dévorer ! Albert frissonne. Il a peur des araignées !

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28 juin 2009 7 28 /06 /juin /2009 08:21

 

La petite chipie toute ébouriffée, toute excitée de savoir que son grand-père vient la chercher à la sortie de l’école, trouve comme un malin plaisir à le faire attendre. Elle doit penser que ses copines aimeraient bien le voir, lui dont elle parle tant pendant les récréations agitées.

A l’angle du bâtiment principal, là où la grande allée gravillonnée tourne à droite pour rejoindre le portail qui donne sur la place ombragée, Aurélia s’arrête et penche son buste en avant pour vérifier qu’il est bien là. Un rapide coup d’œil la rassure. Sa volte-face surprend les trois copines qu’elle entoure de ses longs bras écartés, comme pour les stopper net dans leur marche.

Clhoé, la jolie brunette aux yeux bleus, se penche à son tour au delà de l’angle du mur pour chercher du regard cet homme qu’Aurélia rendit si célèbre dans la classe, en racontant les aventures formidables que lui-même lui avait racontées.

« Il porte une grande casquette anglaise et ses moustaches blanches soigneusement peignées font penser à un inspecteur de police. Il m’a même dit qu’il avait rencontré Cherlock Holmes.

Mais tu sais qui c’est Tchélockhoms ?

Ben oui ! C’est comme l’inspecteur Maigret, mais c’est l’anglais ! »

 

Julia, qui paraît écrasée sous le poids de son sac à dos violet, écarte une mèche rousse pour mettre la main sur sa bouche et demander discrètement si le monsieur s’appuie sur une canne avec un bouchon qui peut cacher une fiole d’eau de vie. Aurélia ne veut pas la décevoir et pense que oui en précisant qu’elle ne l’avait jamais vu s’en servir.

 

Laura, avec sa coupe au carré, semble plus espiègle encore que les trois autres, mais se tient des deux mains au cartable énorme posé sur ses pieds. Elle n’ose pas se pencher de peur qu’il ne repère leur petit manège.

« J’aimerais bien le voir ! Parce que, un grand-père qui a traversé la mer dans un avion de chasse, c’est pas souvent qu’on en voit un ! Et toi ! Tu l’as déjà entendu parler anglais ?

Bien sûr ! Il est anglais ! Et il me parle souvent en anglais quand il est en colère. Mais je ne comprends presque rien ! Alors je rigole et ça le fait rire ! Avec son accent, il me dit : p’tit t’chipie ! Puis je lui prends la main, et nous marchons un peu. Il adore les promenades. Il dit souvent : j’ai deux cannes. Celle-ci et Horilie !

 

Aurélia rejette ses longs cheveux en arrière comme font les grandes que se la pètent en levant le nez pour humer la fierté que les autres lui accordent. Elle se place devant sa troupe et lance un « Bon, on y va, il n’y a bientôt plus personne devant le portail ! »

 

Leurs pas jouent sur les graviers la marche lente des petits bouts qui ploient sous leur charge, et chacune en rajoute comme pour justifier ce retard. Au bout de l’allée, on peut voir un gentleman avec une grande casquette à carreaux qui agite haut sa canne et croise ses longues moustaches comme les fleurets de deux mousquetaires. On n’entend pas bien ce qui se passe mais on se doute qu’il est en colère et parle en anglais. Aurélia se réjouit et lui présente son plus beau sourire, faisant un petit coucou de la main à l’endroit de ses copines, lesquelles rentrent une tête souriante dans les épaules en signe de complicité.

« Hello, Papy ! » lance Aurélia qui prend fièrement la main du grand homme, non sans jeter un œil curieux sur le pommeau argenté de la canne qui cache encore ses mystères.

 

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