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4 mai 2008 7 04 /05 /mai /2008 23:26

Voici un texte qu'il est bon de lire afin d'éviter les surprises.

La scène par François Regnault

L’Armée était naguère appelée la Grande Muette. On pourrait appeler la Culture aujourd’hui la Petite Muette. Parce qu’elle est devenue depuis quelque temps aphasique, ou aphone, selon qu’elle soit impuissante à s’exprimer, ou qu’elle n’ose plus parler. Cela n’est pas grave, n’est-ce pas ? La France, qui passe pour être la cinquième puissance du monde, donc à coup sûr un pays riche, a tant de problèmes plus importants : le chômage, la sécurité sociale, la sécurité, la santé (avec la Dépression, notre nouvelle idola tribus), l’éducation, la recherche, les retraites, le baril de pétrole, que la Culture ne peut plus rivaliser, même qualitativement, avec ces grandes sphères publiques. Finie, l’ère de Malraux et l’époque de Lang, la rue de Valois, après plusieurs cafouillages et palinodies au cours de la présidence précédente, visiblement se tait. Je ne suis pas de ceux dont le premier souci est d’évaluer les qualités des Ministres. Assez d’entre eux se proposent de nous évaluer nous-mêmes : compté, pesé, mesuré, comme il est écrit sur le mur du Festin de Balthazar.

Le marché mondial, on le sait, se voue à tout compter, tout est quantitatif. Nicolas Sarkozy, l’actuel Président de la République, s’exprimant sur la Culture, a donc demandé aux instances culturelles d’être jugées sur leurs “ résultats ”. Il se dit tellement en exiger de lui-même qu’on pourrait se demander en effet pourquoi ne pas les exiger aussi des artistes (j’utilise ce vocable pour faire vite). La question est donc d’apprendre à compter, peser, mesurer, dans les arts. Je choisis le théâtre. On comptera d’abord les spectateurs ; les directeurs de théâtre, les metteurs en scène, les acteurs, les artistes, qui sont visés, haussent les épaules ou ripostent, mais ni dans les hautes sphères, ni dans les petites institutions, aucune réflexion à long terme n’est plus conduite sur le théâtre, ni sur les arts, et sur la culture dont, comme du Tiers Etat, personne ne sait plus ce qu’elle est, ni ce qu’elle doit être, ni ce qu’elle peut être. On se borne à l’idée reçue, digne de Flaubert : “ La Culture, toujours dire que c’est très important”. Lorsque Jack Lang fut nommé Ministre des Affaires culturelles par François Mitterrand en 1981, sa première déclaration – paradoxale, il le reconnaît volontiers – consista à supposer que la vocation naturelle d’un Ministère de la Culture était de viser à sa propre disparition. Il entendait, entre autres, que la Culture serait devenue une chose à la fois si essentielle et si naturelle qu’elle n’aurait plus besoin de faire l’objet d’un traitement spécifique, incombant au seul Etat. Une telle déclaration, aujourd’hui ferait hurler, et les artistes subventionnés crieraient tous “ Mes habites, mes vœux ! ”, comme ces missionnaires de Bougainville *évoqués par Diderot, livrés tout à coup aux avances des jolies sauvages s’offrant selon les lois de l’hospitalité. Cependant, le Ministère de la Culture est en voie d’extinction, et ses subventions à l’endroit du spectacle dit vivant diminuent juste assez lentement pour rendre impossible le fonctionnement normal des institutions, mais pas assez cependant pour ouvrir une crise qui annihilerait les uns et révolterait les autres – à moins qu’il ne se passe simplement rien du tout.

Il faut le dire avec prudence mais avec fermeté. Le système de l’intermittence – qui est à la fois objet d’envie et de risée de l’Europe – paralyse la réflexion, parce que le MEDEF (appuyé sur l’UNI), le Ministère et les Intermittents eux-mêmes, coordonnés ou atomisés, forment un nœud (borroméen, je crains qu’il ne le devienne) dont il ne faut pas être grand hégélien pour comprendre la dialectique interminable : ces trois pouvoirs se battent de façon régulière, aux dates prévues, mais s’entendent “objectivement” pour que rien ne change, comme si les plus récents acquis devaient être éternels. Personne ne veut penser au-delà de cette triple lutte. Et le premier qui commencerait à dire par exemple ce qu’il attend du théâtre à venir se verrait immédiatement rabrouer au nom de ce que la situation précaire du présent doit perdurer. Que lesdits intermittents en fassent les frais est dans l’ordre. Je dis le Théâtre, mais c’est le dernier souci de la Culture. La danse a parfois meilleure presse, souvent pour de méprisantes, et donc méprisables raisons. La musique, qui touche à plus d’argent, est davantage considérée. Le cinéma est évidemment d’un autre ordre. Imaginez en outre ce que trouve sur son bureau le Ministre ou un haut fonctionnaire de la Culture ? Théâtre, danse et musique : une petite pile – le Patrimoine : une pile moyenne ; l’audiovisuel, une pile énorme. Personne ne sait s’il est légitime que l’audiovisuel incombe à ce Ministère, ni même à la Culture (90% de ce qu’on voit à ladite télévision, football, rugby, variétés, séries, émissions publiques, pourquoi les pouvoirs publics s’en encombrent-ils ? Afin que rien n’échappe à l’Etat ? En tout cas, cela entraîne que le théâtre, dont je parle et dont Mallarmé prétendait qu’il était “d’essence supérieure”, est à présent l’un des plus bas dans la hiérarchie culturelle. Bien fait pour lui, diront certains, il n’avait qu’à pas être si ennuyeux. C’est une des raisons pour lesquelles les collectifs budgétaires exigés par Bercy, en diminuant régulièrement les subventions des DRAC, réalisent régulièrement à son propos des économies de bouts de chandelles (c’est le cas de le dire !), et obtiennent à ses dépens des économies dérisoires dont on se garde bien de citer le montant, tant il ferait rire par rapport même à 1% du PNB ! Même s’il ne coûte rien, l’art d’humilier un artiste est sans prix ! J’ai connu autrefois des fonctionnaires, inspecteurs ou autres, dont le souci était de défendre les institutions théâtrales et les artistes, et on en rencontre encore rue de Valois ou rue Saint-Dominique. Mais ils se voient lentement substituer un corps de petits sbires à la solde de l’Etat, auquel ils s’identifient avec moins de raisons que Louis XIV, apparatchiks régionaux, qui ont à cœur de faire le ménage esthétique et financier.

L’exigence de “ résultats ” dans le théâtre est donc une fumisterie si on ne dit pas quoi. Et si on le dit, cela devient une imposture.

Il me souvient du premier Faust d’Antoine Vitez à Ivry. Comme il changeait souvent de lieu (studio, gymnase, salle de réunion), il transportait son parquet, ses valises et quelques manteaux, et il les redisposait très près des spectateurs : une dizaine un dimanche, par exemple. Peu d’années plus tard, Vitez remplissait le Théâtre de Chaillot avec l’intégrale d’Hamlet, puis celle du Soulier de satin. Je le lui dis : “ rappelle-toi qu’à Ivry, etc. ” -“ Oui, me répondit-il, il faudra me le redire, ou le redire un jour. ” Sans doute cela donne-t-il sens à cet “ élitaire pour tous ” qui embarrassa tant la Professions comme un poisson d’une pomme, au point même qu’on attribue maintenant ce mot à Vilar, canonisé par le service public. Un tel phénomène serait aujourd’hui impossible, on lui supprimerait les subventions, et le PCF actuel ne serait plus en mesure de le défendre, à supposer qu’il le veuille. Je cite cela, non par nostalgie, mais pour suggérer que la Cinquième puissance du monde, dont le rayonnement est encore pour certains supposé l’irradier, le monde, pourrait bien se permettre une plus grande souplesses – oh ! ce n’est pas grand-chose que la souplesse – à l’égard des arts, ou du spectacle dit vivant. Ou alors, que pris d’un “ zèle hyperbolique”, comme on dit dans Ruy Blas, la Cinquième puissance supprime son Ministère de la Culture, en laissant la liberté aux sujets d’inventer des voies nouvelles. La parabole évangélique des talents montrerait que les uns garderaient prudemment leur acquis ancien sans le faire fructifier, et que d’autres surprendraient jusqu’aux élus ! Mais il ne me revient pas de faire un pareil vœu ! Pourtant, l’expérience montre combien aujourd’hui, dans le théâtre, les chemins de traverse sont plus féconds que les voies hiérarchiques. Un théâtre s’honore en invitant metteurs en scène, auteurs et acteurs étrangers, hongrois, lituaniens, scandinaves, slaves, italiens, espagnols ou portugais, qui, certes, sont souvent mieux soutenus en France que dans certains de leurs pays, et qui, pratiquant leurs langues ou la nôtre, font connaître à des publics nombreux et variés la richesse artistique d’une Europe à venir. Cette Europe a peu à attendre des directives de Bruxelles, car Arlequin, disais-je, a précédé les quotas laitiers. Cette expérience est réelle, mais les pouvoirs publics n’en tiennent pas compte, parce qu’ils attendent que les journalistes les leur signalent, et que les journalistes (sauf exceptions), fonction bien connue de l’appareil d’Etat, ne leur signalent que ce qu’ils supposent qui intéressera les pouvoirs publics, lesquels etc. – et cela tourne en rond, la télévision ayant le dernier mot, elle qui se garde heureusement, car elle l’abîmerait, de se laisser contaminer par le théâtre, la cérémonie des Molières fonctionnant une fois l’an comme les écrouelles royales. Il faudrait donc lui laisser, au théâtre, toute sa liberté d’invention, et, pour cela, respecter les singularités, et prendre des risques, en calculant – oui, je ne veux pas moi non plus gaspiller les deniers publics – que telle voie (ou voix) originale en ses débuts a des chances de devenir essentielle quelques années plus tard. Ce serait un bon placement, plutôt que de compter sur une critique avide de livrer chaque année au Minotaure sa pâtée de chair toujours fraîche, défraîchie l’année suivante lorsqu’elle n’a pas été dévorée. Enfin, il faudrait faire confiance aux artistes capables d’inventer de nouvelles façons de s’adresser au public qui ne soient ni autoritaires, ni massives, ni sérieuses, ni méprisantes, ni hautaines, ni mécaniques, ni sociologiques, et je sais de quoi je parle. Conclusion pessimiste. Il faudrait… mais que dis-je ? Les jeux sont faits. Les uns se lassent, les autres vieillissent, la foi se perd, les édiles se replient sur leurs pratiques habituelles, la conjoncture ne se prête pas aux aventures artistiques. Il fut un temps où le théâtre cessa dans Athènes. Nous n’avons même pas droit à cette lente agonie. Le théâtre ne se taira pas. Il poursuivra son bavardage inutile et incertain… Au commencement était l’acte théâtral. A la fin, Œdipe aveugle s’appuie sur sa fille Antigone. Mais Œdipe aujourd’hui n’a plus qu’une béquille vermoulue.

Conclusion optimiste. Il faudrait… mais que dis-je ? Rien n’est perdu si les pouvoirs publics ne demandent pas aux artistes de former une corporation unifié, d’être tous d’accord, de ne tenir qu’un seul discours, pour finir par censurer toute critique. Si enfin la Cinquième puissance du monde réussit à se convaincre qu’elle peut laisser un peu plus les étrangers sauter ses nouveaux parapets et tolérer des trous dans son vieux parapluie…

Post-scriptum

PS. Ce matin 15 novembre, Madame le Ministre de la Culture s’est exprimée sur France-Inter pour nous rappeler son amour du théâtre et nous informer de la consolidation par son Ministère des budgets prévus. Je lui en donne acte.– Vous attendez donc tout d’elle ? – Non pas, mais qu’elle s’exprime plus souvent, oui.


 

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