La marge dans le Petit Robert de 1973 : bordure autour du texte sur une feuille de papier,
intervalle d'espace ou de temps, latitude disponible entre certaines limites,
marge de liberté, marge de réflexion, marge d'erreur, marge d'action,
marge de tolérance, (tolérance zéro), marge de sécurité, (zone de risque),
marge de manœuvre, (espace de mouvement), marge commerciale, (obligation-survie)
en marge de la société, (à l'écart des préoccupations sociales).
L'inscription : ensemble des signes gravés ou imprimés sur un support :
l'inscription sur un registre signifie l'appartenance à un groupe ou à une catégorie :
citation, immatriculation, conscription, inscription en faux, (aller contre, s'opposer),
inscrire une forme dans un ensemble déterminé, ( math),
inscription comme adhérant à un même comportement ou travail.
NOTE SPONTANEE. S'inscrire dans la marge signifie a priori l'engagement à sa mise à l'écart par rapport à une forme acceptée par tous ou un texte duquel on décolle afin de l'annoter ou le
commenter. Mais à y regarder de plus près, l'inscription de ce genre suppose qu'elle soit adressée à un autre qui aura :
soit à partager les annotations, ce qui revient à participer à cette mise en marge ;
soit à s'inscrire lui-même en faux pour adhérer au texte ou s'y opposer sur un autre mode.
S'inscrire en faux aux inscriptions marginales malheureusement est le plus souvent considéré comme une adhésion à la page du texte, selon notre logique dualiste.
Le travail dans la marge est toujours singulier et la façon de s'y inscrire ne peut se comparer à aucune autre. Ce travail est donc exceptionnel parce qu'il est incomparable.
Cela mérite une observation. Depuis peu, la provocation est évoquée systématiquement à l'occasion de n'importe quelle inscription en marge de la norme sociale. Or la provocation est récupérée par
le système qui en fait l'éloge en tant que modèle de socialisation. Voir les soit-disant comiques. Voir les panneaux publicitaires de Benneton.
QUESTION D'ACTUALITE. Y a-t-il un au delà de la mondialisation ? Ou encore, les adeptes de la mondialisation, ceux qui y croient comme à une nouvelle religion, ne deviennent-ils pas aveugles à ce
qui échappe à cette mondialisation ? (Ce qui échappe concerne presque toujours de rapports humains entre quelques uns, depuis les liens intimes conjugaux ou filiaux jusqu'aux sentiments de
nationalisme.)
J'ai pensé !
Je reste là à penser !
Je penserai encore, du moins je l'espère !
Je ne sais que très peu de choses sur moi-même !
Je sais par contre ne connaître absolument rien de vous !
Enfin, je reconnais que ce que je crois savoir n'est qu'illusion ! Ou plutôt représentation !
Nous faisons ici le lien avec la culture. Et chacun connaît le danger de se référer à la norme culturelle qui, pour modèle qu'elle soit, n'en est pas moins impuissante à m'apprendre quoi que ce
soit sur le proche qui vit à mes côtés. Il reste singulier, et tout particulièrement éloigné de cette norme. Il est singulièrement inscrit dans la société présente autour de moi.
Je découvre jours après jours l'empreinte tracée en moi d'un apprentissage intensif de la normalité conjoncturelle. Il suffit de décrire le contexte d'une situation et le co-texte d'une
énonciation pour s'apercevoir combien la perception des éléments s'en trouve modifiée. Il arrive à chacun de trouver soudain quelque intérêt nouveau pour un inconnu après qu'il ait été présenté
comme une personne exceptionnelle par ses expériences vécues.
Mais je suis désolé de m'exprimer en notant "je", ce qui n'est pas de bon ton, ni bienséant. "On" eut été plus correct ! Mais "on" s'en passe puisque "on" passe pour personne !
Si j'ai pensé, c'est que je pense avoir pensé ! Oh ! J'en doute, bien sûr ! Et là, rien d'exceptionnel ! A moins ! A moins qu'il soit exceptionnel de penser, ce qui pourrait laisser supposer
suspecter que d'aucun oubliât de penser ! Hélas oui ! Nous savons que le fait de penser n'est pas universel. Pour certains, à quoi bon ! Penser, c'est tourner en rond puisque l'objet de cet acte
de penser reste à jamais "le penser lui-même.
Question ! Est-il possible ce creuser un puits dans un puits ? Est-il possible que soit réinventée l'humanité dans l'humanité même ? Et, finalement, la conscience peut-elle étudier la conscience
?
Je ne peux pas dire oui ! Mais je pense que oui ! Je crois que c'est possible à cette condition impérative qu'il y ait un reste, un reste auquel nul n'aura jamais accès !
Penser à penser, ou encore penser le penser n'a rien à voir avec le puits, entité terminée, bien délimitée dans sa fonction de réserver l'accès à l'eau. Il arrive pourtant d'imaginer la pensée
comme un puits sans fond. Nous décrivons ici, bien précisément, le non-délimité qui offre à ouvrir sur un reste, sur un concept de reste. J'aurais beau penser l'humanité, elle me
restera toujours étrangère en raison justement de ce reste inaccessible.
Aussi ai-je à cœur de creuser dans ce qui reste afin d'approfondir ce puits de pensées au fond improbable. D'aucun s'abstiendrait de creuser alors qu'il convient pour d'autres de ne jamais
s'arrêter. C'est en cela que nous pouvons accepter que le singulier trouve à se satisfaire de sa position. Mais le "normal", s'il existe, abondement médiatisé, impose que la démarche singulière
s'inscrive dans le rang, se range dans les rayonnages ad hoc, pour le bien public et souvent en son nom.
("Attends, mais c'est pour ton bien que je t'impose cela !" Et depuis peu, il est inconvenant de s'embrasser trop longuement dans les couloirs du lycée !)
Alors, la question qui se pose ici se présente sous cette forme : comment le singulier peut-il s'inscrire dans le rang si son expression favorite s'épanouit dans la marge ? Comment
l'exceptionnel pourrait-il se normaliser ?
La seule réponse est que la marge a une fonction bien précise. C'est elle qui borde le rang. La marge est à définir comme la limite des éléments du texte. Marge
d'erreur, marge de manœuvre, marge de liberté, marge de profit, marge fonctionnelle sans laquelle tout se grippe comme des engrenages sans jeu. Et ne pas jouer le jeu, c'est risquer d'être pris
en grippe !
En marge, le jeu, la simulation, l'essai de mise en scène, l'entraînement et la vérification, en font la possible flexion des limites qui fait réflexion sur la norme et rend
possible les règles, rend vivables les échanges et rend profitable le commerce. (S'il est équitable !)
Quand les règles d'un pays rendent invivable la situation naît alors la contrebande, le commerce en marge.
Quand l'hégémonie impérialiste rend insupportables les échanges internationaux alors naît le terrorisme, c'est à dire la guerre sous des formes nouvelles, voire
marginales.
Le phénomène social auquel nous assistons aujourd'hui tient à une forte instrumentalisation de ce qui se passe en marge, au point de la nommer nouvellement zone
d'exclusion. Les marges sont toujours nouvelles et repoussées plus loin. (Jamais il n'y a eu de secrétaire d'état à la marginalité comme il existe désormais un secrétaire d'état à
l'exclusion.)
La provocation est devenue la nouvelle façon d'accéder à la médiatisation.
Si Coluche avançait la vulgarité, il faut maintenant que les nouveaux comiques bigarrés aillent jusqu'à la grossièreté et au delà ! Et la femme, mais dans les
représentations seulement, paraît-il, reste l'objet des plus grandes discriminations. C'est au point qu'il n'y aura bientôt plus que des homosexuels pour demander le mariage !
Si les franges néo-fascistes ne sont plus qu'une marginalité sous surveillance, Maxime Brunerie a bien tenté l'exploit pour devenir quelqu'un. C'est dire que la course à la distinction n'aura pas
d'obstacle avant bien longtemps, à moins que la tolérance zéro ne grippe tous les rouages de la société, auquel cas il n'y a plus qu'une course pour la survie.
On le voit, la marge ne reste pas la marge. Elle migre vers les bords. Elle est rattrapée sans arrêt par une législation toujours en retard. Elle se décline au présent sans avoir de futur.
La marge est ce petit reste qui nous fait dire que le texte est "envahissant jusque dans la marge". La marge est ce qui dépasse du support sur lequel se déroule l'humanité vivante.
Qui s'y inscrit est un nomade dont le dos reçoit les piques de la foule. Certains parfois se retournent et s'appèlent alors le Christ, ou le Ché ou Gandhi, tant qu'ils représentent l'espoir d'un
salut. Vous le savez, leur vie ne tient qu'à un fil. C'est le fil qui sert à coudre l'étiquette sur leur être. Nul ne sait s'ils s'y inscrivent en tant que personnes volontiers émargées ou s'ils
sont socialement disposés à la marge comme manœuvrés par des forces qui disposent de leur charge, ou encore comme disposés par des truands qui les prennent pour otages.
Dans tous les cas, ce qui tient lieu de dynamique pour toute prise de conscience de la vie communautaire c'est ce qui se passe dans la marge. S'y inscrire est exceptionnel mais ne laisse rien
présager des caractéristiques humaines de celui qui s'y est inscrit. Par contre l'être exceptionnel, parce qu'il a conscience de sa singularité, aura toujours comme caractéristique particulière
de penser les limites de l'humanité au point de poser des notes jusque dans la marge. Et s'il signe ses annotations, c'est qu'il s'inscrit dans la marge. Bravo !