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  • : Le blog de topotore
  • : Les mots invitent à leur traduction afin d'entrevoir sur le mode singulier de chacun cet "au-delà de la langue" si étonnant. La poésie illumine cette frontière.
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15 février 2008 5 15 /02 /février /2008 21:11
        La rencontre avec la topologie


        Une infirmière de mon entourage se passionnait pour la broderie et recherchait des ouvrages anciens dans les livres. Chez un bouquiniste, elle achetait quelques vieux parchemins quand elle découvrit sur les rayons un livre dont le titre l'a attirée. "Etoffe". "Etoffe 2" plus précisément de Jean Michel Vappereau. Sans regarder le contenu ni la quatrième de couverture, notre infirmière l'acquit pour trois fois rien.

        Après quelques regards jetés au hasard d'un effeuillage rapide, elle décida de me le donner en m'assurant de tout l'intérêt que je lui porterai bientôt. Et là, je dois avouer que notre amie ne s'était pas trompée, ce qui ajoute un argument de poids au soutien de l'intuition féminine. 

       L'auteur est un mathématicien dont je n'avais jamais entendu parler. Ma surprise fut de découvrir que son travail aux côtés de Jacques Lacan avait énormément contribué à l'élaboration de la conception structuraliste de la psychanalyse. "L'inconscient est structuré comme le langage" martèle le psychanalyste en étudiant passionnément la linguistique (F. de Saussure) et les mathématiques dont le niveau d'abstraction permet modestement de s'affranchir des règles du langage, mais partiellement, pour tenter de mener la pychanalyse vers une vraie discipline scientifique. Parmi les théories mathématiques, Lacan découvrit la théorie du jeu, la topologie ou théorie des surfaces, puis la théorie des noeuds. Son ambition était de pouvoir prédire scientifiquement les tours et détours de l'inconscient. Mais bien évidemment, j'ai tourné ici une formule simplifiée qui ne peut prétendre à y réduire son travail.

        Même sans faire de lien à la psychanalyse, la théorie topologique me passionne. En effet, elle permet d'ouvrir le champ de la compréhension parce qu'elle nous sort de cette géométrie euclidienne trop limitée pour imager nos conceptions.  De la rigidité, nous glissons vers une certaine souplesse pour appréhender, plus que pour comprendre, les rapports humains.

         Petite illustration

        Je ne voudrais pas couper court ici sans avoir illustré la souplesse dont je parle.
        Beaucoup pensent que notre président dit tout et son contraire, sur n'importe quel sujet. Nous jouons ici dans une théorie dualiste de l'opposition des extrêmes, blanc ou noir, bon ou mauvais, vrai ou faux, dedans ou dehors. Mais elle gomme les nuances que le langage permet. Du blanc au noir passent les gris variés. Du bon au mauvais défile toute la gamme des sentiments, des impressions, des exigences morales...Etre dedans et dehors reste possible en chevauchant la frontière.
       
        La bande de Moëbius

        Prenons de la distance, et marchons sur la bande de Moëbius (on peut la trouver sur internet). Le dehors se transforme progressivement en dedans au point que ces notions ne veulent plus rien dire. Si le feutre rouge se promène sur la bande pour laisser sa trace, au début nous commençons sur l'extérieur et très vite nous faisons les deux tours sans avoir levé le feutre. La trace se manifeste des deux côtés de la bande qui ne représente qu'une seule surface, avec un seul bord, lequel n'est qu'un pli de la surface de projection.
        Nous devons oublier la représentation de ce morceau de tissu et de son épaisseur pour saisir que sur les bords de ce pli, notre président a pu dire "je suis le président du pouvoir d'achat" et quelque temps après, "voulez-vous que je puise des sous dans les caisses qui sont déjà vides ?". Là, j'ai un peu arrangé à ma façon pour plus de clareté ! Les exemples ne manquent pas.
       
        Autre exemple d'illustration du pli sur la surface : les amoureux se disent "je t'aime", et avec quelle persuasion ! Ce "je t'aime" ne veut-il pas dire aussi et encore "aime-moi !", "aime-moi très fort" sinon, "comment pourrais-je t'aimer ?" Je l'adore, je l'ai dans la peau, et en même temps il (elle) m'enveloppe. Voyez toute la richesse des plis où la forme se perd en mots et où les mots prennent forme.

        Ce qui est absent dans toutes les représentations possibles, ce qui ne peut faire l'objet de projection sur une quelconque surface, c'est le réel, celui qui fait intrusion et traumatisme, mais s'il manque, c'est qu'il passe par les trous. A suivre !
       
       
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13 février 2008 3 13 /02 /février /2008 21:57
Les maillons attachés forment un solide assemblage dont chaque être humain craint les effets quand il approche de trop près le gros anneau scellé dans le mur. La cheville lui semble déjà douloureuse à la simple évocation de l'enchaînement. Pourtant, ce ne sont là que des mots, ceux-là même qui nous permettent d'évoquer les conditions abominables de certains prisonniers en ce moment quelque part dans le monde et spécialement dans la jungle bolivienne. De part sa fonction, la chaîne soulève à elle seule la brutalité des privations de liberté.

Le mot seul tient cette invraisemblable pouvoir d'évocation mais uniquement parce qu'il est lié à d'autres mots qui forment pour lui l'environnement signifiant. En ce sens, le mot épouse bien la forme d'un maillon. Ce maillon est un tore. Comme l'anneau qui suspend les rideaux, le tore peut être plein ou creux. La chambre à air que l'automobile a abandonnée était un tore creux, dont la dilatation dépendait de la pression d'air insuflé. Mais pourquoi donc parler du tore ?

L'observation de cette forme particulière, surtout quand elle est creuse, nous laisse ravis. La sphère creuse ne permet aucun échange entre l'interne et l'externe si elle n'est nulle part percée d'un trou. Il en est de même du tore. Néanmoins, le tore est tout de même troué de par sa forme. Un trou dans la surface du ballon sphérique provoque la formation de la déchirure appelée bord. Ce bord, un peu comme une boutonnière dans le tissu marque la surface et autorise la fourmis à passer d'un côté à l'autre. On dira qu'elle marche depuis la face visible à la face invisible. Le tore est troué d'une percée qui ne laisse aucune déchirure et donc n'a tracé aucun bord sur sa surface. L'espace confiné reste confiné.  L'air  qui l'entoure et le traverse  n'est pas confiné  dans la forme.

Imaginez que vous habitez dans un vaisseau spatial de cette forme, géant comme la maison de la radio, avec seulement quelques hublots sur la plus grande périphérie. Si personne ne vous le dit, il vous serait impossible de concevoir que l'espace traverse le vaisseau par son milieu, au centre de l'anneau.  Aucune  ouverture ne pouvant se faire, l'espace de vie est alors fermé sur le petit monde intrinsèque de l'aventure. L'habitant ne jouit que de la perception intrinsèque de son environnement.
Un martien, vert ou jaune, voyant de loin cette ensemble pourra en faire le tour et passer par le trou central dans sa machine à sustentation extrasidérale...(cette image n'a aucun support métaphysique, elle ne se présente que pour faire joli !) Le martien donc jouit d'une vision extrinsèque de la chose.
Les notions "intrinsèque" et "extrinsèque" sont différentes de celle "d'intérieure" et "d'extérieure". La sphère trouée n'a plus d'intérieur ni d'extérieur puisque la fourmis ne change pas d'air en passant d'une face à l'autre. Le panier ou le vase contiennent des fruits qui ne sont ni à l'intérieur ni à l'extérieur bien que le langage courant ne nous habitue pas à ces distinctions. Si je suis dans ma bulle, comme le moment présent m'y engage, la perception de mon monde est intrinsèque alors que le lecteur aura une perception extrinsèque de mon élucubration. Il ne comprendra peut-être rien, pour cette seule raison !

Pourquoi est aussi important, dans mon monde ?
Le forme torique convient parfaitement à illustrer ce monde dans lequel je me débats. Je persiste à penser que l'être est singulier, et même singulièrement torique, parce que le social, son environnement socio-culturel, l'ensemble des autres, trouvons-lui encore des noms, le traverse en son axe tout comme l'espace traversait le vaisseau. Il fait l'être par cette manipulation, dans le sens du pétrissage de la motte glaiseuse, et lui donne la forme d'un tore. Ceci permet de préciser que le complément du tore dans l'espace est un tore lui-même. L'espace est un tore pour le tore qu'il traverse. Les deux sont liés comme les maillons de la chaîne.

Et c'est là où je voulais venir, l'individu singulier et le social pluriel sont deux maillons d'une même chaîne. Il nous est alors difficilement possible d'envisager une autre construction grammaticale dans notre langage même, puisque ce langage nous définit. D'où ce titre : la chaîne des mots.
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12 février 2008 2 12 /02 /février /2008 21:18
Afin d'ouvrir la porte de cette aventure, il m'a été offert en cadeau aujourd'hui même la lecture des quelques mots du petit journal de Rébéca. Depuis le début de ses vacances parmi nous, sa tante lui a proposé un atelier journalier d'écriture de quelques minutes. A sept ans, l'oscillation entre les mots d'enfants et la répétition des paroles d'adultes provoque des accrochages surprenants. La mer et la plage l'ont inspirée ce jour, et je cite ici la plus poétique des phrases. "Le grand ciel bleu regarde en bas."

Il apparaît ici, le fait est assez rare pour insister, sous la simplicité des symboles, ce monde autre, peletoné au delà des mots. Les merveilles sont exposées derrière la palissade du langage. Pour peu que cette dernière soit riche de la simplicité enfantine, ou parfois de la candeur de l'auteur, elle illumine ce qui est caché.

Ne serait-il pas vain d'en trop ajouter ? Bonjour à tous.

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10 février 2008 7 10 /02 /février /2008 21:57

Personne ne sait ce qu’il dit !

Voilà bien une affirmation nette qui pourrait embrasser toute la vérité.

 

Il suffit d’un seul qui prétende savoir ce qu’il dit pour que cette proposition n’embrasse plus toute la vérité.

Cela n’est pas étonnant puisque "tout" ne pose pas question.
En effet "tout" n’existe pas. 

Mais n’est pas là encore une vérité cinglante qui ne prend appui que sur la négation ! "Tout" n’existe pas !    Le plus surprenant, c'est que ce fait nous échappe le plus souvent. (Remarquez ici ma précaution à ne pas dire toujours !) Cela nous échappe au point que nous avons cette prétention exacerbée de penser que vérité et mensonge sont bien différenciés.   Nous savons de plus que toute vérité n'est pas bonne à dire !     Voici l'exemple d'un court dialogue entre  un jeune homme et sa sœur aînée.  

"Je te dis la vérité ! Durant toute mon enfance, j'ai été maltraité par des parents odieux !" Ce à quoi répond la grande sœur : "mais pas du tout ! Ta mère et moi t'avons chouchouté un maximum car tu étais le petit dernier, le benjamin, et je te dis la pure vérité, c'est que nous avons tout fait pour ton bonheur !"

Là, vous entendez bien qu'aucun ne sait vraiment ce qu'il dit. Et pourtant,
quelle banalité ! Quel échange fréquent, pour peu que nous prêtions une oreille attentive aux plaintes !


Vous pouvez vous demander pourquoi je suis parti sur cette piste, outre le fait maintenant acquis que je ne sais pas ce que je dis ?    C'est pour illustrer la trace laissée par le négatif, dans cette constitution illusoire d'une identité singulière, construction imaginaire du moi. En effet, que revient à dire "j'ai manqué d'amour", dit au passé, si ce n'est "il me manque ce que j'aurais voulu recevoir !", dit au présent. Perception bien vivace et mobilisatrice que cette illusion, bien présente, à propos de quelque chose qui n'a jamais existé : "ce que j'aurais aimé recevoir !"    Une dame se plaint un jour en entretien au sujet de sa vie de couple. Elle me dit,  et c'est merveilleux, pour résumer sa perception présente : "C'est tellement loin de tout ce que j'aurais aimé que ce soit !"    Vous remarquerez que ce discours ne peut être énoncé qu'avec un grand décalage chronologique dans le futur.

 

  La dé-ception n'est en effet que la per-ception a posteriori d'un manque. Il a fallu pour cela que "tout " n'arrivât pas.   

C'est bien le fait de manquer qui nous anime. Et ce manque est manifeste dans le langage.
Il est même constitutif de la structure du langage.


Nous sommes pris dans les nœuds du filet du langage.
 

  Qui n'a pas remarqué qu'un filet de pêcheur est constitué de trous beaucoup plus grands en superficie que nœuds et cordages. C'est pourtant la structure qui permet d'accrocher le poisson.

Eh ! Bien ! Le poisson, dans le langage, c'est le sujet parlant. Il est pris dans le filet bien avant sa conception. Combien de projets sont élaborés avant sa venue ? 

  Il n'y a qu'à voir le branle bas le combat dans les faits et dans les discours pour mesurer tout l'espoir projeté sur le futur petit d'homme ! Et c'est précisément ce tout espoir qui sera déçu par la suite, heureusement dirais-je, (je vous dirais pourquoi), car le petit d'homme se révèlera très vite être un autre qui ne répond pas à toutes les attentes.  


Oh ! C'est un petit garçon ! J'aurais tant aimé que ce soit une fille ! Oh ! Il a les yeux bleus comme la grand-mère de mon côté ! J'aurais préféré qu'il tira plutôt de ceux de l'autre côté ! Et en plus il ressemble fort au grand père, ça promet ! Une autre encore : il a tout de son père !

 
Dans la psychologie humaniste, il est question de considérer le sujet dans sa totalité. On dit "conception holistique."

Mais qui aurait déjà rencontré un sujet dans sa totalité, s'étonne Jacques Lacan. Séminaire II "Le moi…" 1978, p. 284. Il nous faut considérer "le sujet, non pas dans sa totalité, mais dans son ouverture", (comme d'habitude, ne sachant pas ce qu'il dit ! Voire sachant très bien ce qu’il ne dit pas !)         

 

Au fond, le JE de l'énoncé, (ce que je crois être moi, dans mon imaginaire,) éclipse le JE du désir, (le sujet inconscient que je ne connais pas, symbolique celui-ci !) éclipse essentielle au point qu'il "ne sait pas ce qu'il dit tout simplement parce qu'il ne sait pas ce qu'il est." Séminaire II "Le moi…" 1978, p. 285 

Voilà bien une singularité, celle de se sentir un sujet parlant qui ne sait pas ce qu'il dit parce qu'il ne sait pas ce qu'il est !  

Mais revenons d'abord au poisson. Il est pris par le filet et s'en détachera grâce aux bons soins du pêcheur. Tandis que nous, nous sommes pris dans le filet comme éléments de cordage, de nœuds et de trous desquels nous ne sommes pas prêts de nous échapper. Le filet c'est nous-mêmes qui parlons pour le maintenir sans cesse en bon état.             

Nous n'avons de cesse de nous constituer en être parlant, et ce, en parlant. Nous n'avons de cesse de nous prendre dans nos paroles. Et chacun d'apporter sa maille, son œuvre, avec ses capacités et surtout avec ses désirs dont le premier est le désir d'être désiré par l'autre. Mais bien sûr, je désire être désiré par l'autre selon ce que j'imagine moi-même qu'il ait à désirer.  
 
Pour illustrer toute cette imagerie, si c'était possible, j'écris, et même parfois je crie. Je parle et je tisse un discours dont les mailles sont la langue, la mienne (que peut-être vous ne comprenez pas), et dont les nœuds sont les signifiants, ces sonorités en forme de mots, symboles qui se relient entre eux pour donner du sens. Mais ce sens n'est pas identique pour chacun.
 
Si maintenant, hors de propos, je dis "bâteau" ! A quoi ça rime ?

Mais c'est ici ma singularité, et aussi la singularité de chacun, c'est que "bâteau" se relie à d'autres signifiants selon un certain discours, celui qui parle de moi, (imaginaire), lequel moi éclipse, on l'a vu, le sujet inconscient, (symbolique). 

 

C'est pour cette raison que le sujet est "barré" pour Lacan. Cette liaison, cet accrochage dans le filet des signifiants est déjà élaboré en moi avant l'énonciation.

 

Le "bâteau" évoque pour moi une aventure bien précise. Et j'imagine que l'expérience se fait aussi en chacun de vous, même si l'énoncé diffère par la suite, si vous vouliez en parler, de l'histoire à laquelle vous avez pensé.

Freud, (Sigmund, pour les intimes), l'avait bien repéré. L'association libre n'est autre que l'émergence de la chaîne des signifiants. Lettre à Fliess, n° 52. Cette chaîne, par association, se lie de façon singulière, en fonction de notre histoire, de notre vécu, de notre langue, de notre ouverture (que Lacan appelle aussi refente), de notre désir, et de notre disposition.
 
Il n'y a donc pas lieu de comparer des singularités entre elles.

 

 
Pas plus tard que la semaine dernière, à la télé, l'homme annoncé comme le plus grand du monde, disait ceci : "prendre la mesure de ma taille est pour moi une atteinte à ma dignité (…) Je ne suis pas une mesure ! Je suis un être humain !"

 

 

Je finirais là dessus. C'est possible de comparer des unités, chacune étant un élément de catégories. On peut classer et répertorier, longueurs, vitesses, poids, forces, travail, volumes, énergie (…)

 Par contre, la singularité n'a rien à voir avec l'unité.

 

Si le UN se pose en terme mathématique et supporte la comparaison avec le DEUX, le singulier par contre ne supporte aucune manipulation mathématique. C'est la raison pour laquelle toutes les statistiques sont fausses qui concernent l'humain. Ce qu'on peut tourner autrement : aucune ne peut approcher la vérité du singulier. 

Il y a une grave atteinte à la dignité humaine quand, pour quelque raison que ce soit, l'humain est considéré comme simple matricule parmi d'autres, unité d'un ensemble dont il ne fait pas partie, sauf à accepter une perte de dignité. Il dira cependant dans un sursaut de lucidité, et sur un mode revendicatif : "je ne suis pas que ceci ou cela !"

En ce sens, l'être humain n'existe pas sinon dans mon imaginaire. Et c'est ce que Freud a bien perçu en traitant sa métapsychologie de fiction, simple modèle d'étude pour mieux appréhender le phénomène humain. 
 


Le drame qui se vit de nos jours tient en ceci que la singularité est tenue pour ennemi numéro un de notre société, alors que l'individualisme est stimulé.

 

Le langage est attaqué s'il se constitue en discours non politiquement-correct. Le pouvoir, même en démocratie, subit cette dérive qui consiste à tout mettre en œuvre pour qu'on ne parle plus que d'une même voix. Mais s'il n'y a plus qu'une voix, alors, il n'y aura plus qu'un seul discours, et c'en est fini de la singularité. L'idividualisme ne sera plus que la seule capacité de participation au discours univoque avec cette obsession d'y dissoudre toute singularité. 

Les dires au singulier se supportent de la toute première négativité : "Je ne suis pas que ceci ou cela !"  Le sujet de cet échange se trouve amputé non seulement des dires, mais aussi du singulier par un dire univoque qui écrase toute singularité. 
Nous avons à cœur, de révéler l'être singulier de chacun des sujets parlants au travers de la variété des dires. Ils ne sont pas à considérer comme contradictoires, mais comme trace des vécus singuliers. C'est une richesse infinie.
 
 

Sur ce, je m'arrête et vous souhaite une longue et fructueuse lecture.

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10 février 2008 7 10 /02 /février /2008 17:53

Echangées entre nous par l’usage des ces « trucs » symboliques que nous appelons les mots, nos idées nous permettent de construire un monde imaginaire par le biais de quelques représentations.

Nous imaginons par exemple un déroulement linéaire du temps, d’une vie, ponctuée par des évènements notoires comme la naissance, les premières amours, ou encore le dernier soupir qu’il nous est difficile d’envisager. (Tiens ! Un mot bizarre ! Envisager !)

Nous construisons un monde où commercent les gens dans leur conduite plus ou moins réglée selon un sens commun, (mais pas toujours). Nous donnons du sens aux évènements selon les représentations de la situation et selon les anticipations sur l’action. Nous élaborons des théories sur la vie et nous inventons des mythes au sujet de nos origines. Nous nous rassurons.

 

Si l’événement sert de borne sur la route, au point que nous parlons par la suite d’un avant et d’un après, le traumatisme lui ajoute quelque chose. Il en fait un événement indescriptible de notre vie. Le traumatisme n’a pas de sens et s’il borne néanmoins la route, c’est plus par une absence qui laisse des traces que par un élément concret comme un menhir le serait le long du chemin. L’absence ne peut se représenter. Elle n’est pas envisageable sinon à lui signifier la forme informe d’un trou quelconque. On parlerait du visage informe de l’absence comme de ce qui informe qu’il n’y a pas de visage à l’absence. (Renversant !) Pourtant cela laisse plus qu’une trace sur la voie. Le traumatisme détourne le chemin, crée une cassure, une faille, une perte, un irrémédiable trouble que nul mot ne pourra jamais décrire et encore moins expliquer.

 

L’angoisse accompagne le traumatisme dans un premier temps, angoisse d’anéantissement, angoisse de n’y pas pouvoir survivre. Dans un second temps, l’événement provoque le souvenir du traumatisme et l’affect d’angoisse qui l’a accompagné. L’événement, si mineur soit-il crée une nouvelle angoisse. Mais de quel traumatisme s’agit-il qui fait que le moindre événement, comme la présence d’une araignée ou le frôlement d’une chauve-souris, provoque la manifestation d’angoisse, laquelle est souvent très disproportionnée en rapport avec la gravité de l’événement ? Parfois la situation peut sembler évidente, pour ceux qui se contentent des apparences. Une jeune fille me confiait ne plus pouvoir dormir dans un lit depuis ses quinze ans. Ceci lui était arrivé que juste après le départ de sa mère pour la journée de travail, elle trouva son père décédé dans le lit. 

Nous avançons très vite que c’est un traumatisme qui laisse sans voix, qui sidère, qui anéantit, qui tétanise, qui n’a pas de sens. Il fait effraction dans l’appareil psychique. Il dérègle l’appareil à penser. Mais le fond du traumatisme, c’est ce dont la jeune fille ne peut pas parler puisqu’elle vit  encore l’angoisse du lit.

 

Peut-on néanmoins envisager un mythe du traumatisme originel, celui qui aurait provoqué l’angoisse originelle, au point que sa réminiscence suffit à angoisser ? Les moments de sidération futurs nous donnerons en effet à la revivre. Envisager est bien le mot clef qui nous relie à ce moment-même au fait qu’il existe de l’inenvisageable dans le traumatisme comme dans le mythe. C’est une construction a posteriori, fiction qui fait fonction d’envisager.

 

Essayons de nous représenter dans le douillet confort d’un jacusi, sans aucune perturbation. Nous ne parlons pas et sourions. Nous sommes bercés dans la nonchalance et oscillons entre l’état de béatitude et l’hypnose de quelque rêve éveillé. Quelle idée folle celle de prévoir une fin à ce délice !

Un raz de marée survient, comme une bombe. Nous ne distinguons plus les paroles des cris, ne des bruits. Nous sommes emportés dans un flot invraisemblablement violent et cela dure assez longtemps pour que nous soyons dans l’obligation de chercher de l’air. Le monde que nous découvrons nous est totalement inconnu. Il est fou. Nous crions. C’est la seule motricité qu’il nous reste. D’ailleurs nous ne savons plus qui nous sommes ni si nous sommes encore. Nous avons changé de corps, nous sommes totalement démunis, dépourvus de tout, sans l’ombre d’une initiative possible, dans la plus grande dépendance qui soit.

Froid ! Chaud ! Mouvement ! Ballottement ! Cris ! Rires ! Soutien ! Pleurs ! Chocs ! Bercement ! Abandon ! Lait ! Piqûre ! Chatouille ! Eau ! Bain ! Lumière ! Ombre ! Forme floue ! Couleur ! Noir ! Peur !

C’est indescriptible. Perte irrémédiable de la chose qui avait empêché de ressentir l’effroi, de vivre cette sensation de détresse absolue. Dormir. Echapper. Se bourrer. Rêver. Voilà l’issue. Tout est bon pour retrouver l’état de béatitude.

Nous avons bien des difficultés à envisager le traumatisme de cette naissance. Envisager, impossible ! C’est pourquoi nous en faisons un mythe. Les mots ! Il n’y en avait pas. Un seul servait de repère, le prénom dont la sonorité rythmait nos soupirs. Puis un visage peu défini, mais qui faisait un bruit agréable, celui d’un mère qui entourait. Heureusement qu’elle était là ! Au début, elle était toujours là ! Enfin presque ! Parce que le temps de félicité fut plutôt court ! Toute la construction psychique va consister à séparer les éléments du chaos, dissocier les objets qui s’en vont et s’en reviennent de ceux qui restent là, comme ces petites mains qui ne flottent pas loin.

 

Il n’empêche que nous ne pourrons jamais parler du temps de sidération maximale que nous avons vécu là !

-         Oui ! Ca s’est bien passé ! Il est sage !

-         C’est eux qui le disent ! Ca les rassure ! Sinon ils risqueraient des petits moments d’angoisse et ça leur rappellerait des mauvais souvenirs !

 

Bien sûr, c’est une fiction ! Et comment pourrait-il en être autrement ? Le mythe se rencontre dans la recherche de nos origines et le futur s’envisage comme un retour au nirvana ! L’angoisse, c’est que nous savons tous qu’on risque de ne pas y arriver ! Mais nous jouons à ne pas le croire, ce qui fait de nous des gens très créatifs.

 

Evénement, accident, peur, traumatisme, angoisse, anxiété, anéantissement, sidération, temporalité. Nous sommes suffisamment nombreux pour détenir tout le savoir dont nous avons besoin pour nos échanges. Chacun peut lever un mot parmi ceux-ci ou d’autres et s’en servir pour raconter une histoire, même si elle ressemble à la sienne.
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10 février 2008 7 10 /02 /février /2008 09:22

Comme je lui ressemble ! La vie, ne le satisfait pas et ne le fera jamais. Sa conscience à ce sujet dépasse toute connaissance. Son âme, comme l’oiseau en cage, chante le désir de trouver la direction de son pays d’origine. Il sait que là-bas, très loin, se répand la terre d’où il a dû fuir. Peu lui importe alors les détails de son quotidien, ou les agitations de ses voisins, ou même les préoccupations de chacun des siens.

Troublé par les reproches qui lui sont adressés à ce sujet, il ne sait que répondre, car nul ne le comprend.

Nul ne peut entendre la lassitude le l’être qui attend et souhaite le calme pour attendre encore, se tendre vers l’avenir incertain, prendre même l’incertain du futur comme lieu de l’exil. Comme la judéité l’exil n’est pas rien, surtout quand il paraît évident qu’il ne faut pas en parler. Mais dans la peau, dans le cœur, dans l’âme aussi, une trace brûle de toute sa longue histoire et souffre du gommage acharné qui tente en vain de l’effacer. La honte d’avoir vécu sans le mériter ronge dans ses veines même sa naïveté quant à la vie.

C’est cela qui rend les choses si difficiles, c’est la fin de la naïveté. Et pourtant qui peut dire ce qu’est la vie ? Mais les naïfs ne s’y hasardent pas. Ils la vivent du mieux qu’ils peuvent. Ils ne savent pas combien ils doivent subir le conditionnement médiatique. Ils ne savent pas non plus combien ils devront payer pour s’être vautrés dans la frénésie du confort. Ils ne savent pas non plus qu’ils sont avant l’heure les bourreaux de leur progéniture et les prédateurs des richesses du globe. Bientôt, il n’y aura plus d’air comme le montrent les images japonaises où des humanoïdes masqués se pressent dans la rue. Bientôt, il n’y aura plus d’eau puisqu’elle ne sert plus qu’à alimenter les folies douces de quelques privilégiés dans les déserts, comme le montre Las Vegas. Bientôt, il n’y aura plus de richesses fossiles, ni de blé, ni de maïs, ni de soja, ni de riz, parce que tout sera transformé en énergie pour les nantis, mais pas pour les quatre cinquièmes de l’humanité qui meurent silencieusement. Quand quelques uns se vautreront sur la lune ou sur mars, la terre se dépeuplera. La variété des espèces, à chaque étage de la chaîne alimentaire, s’appauvrira au point que le désert prendra tout l’espace.

Nous ne serons plus là, mais nous aurons participé à l’impardonnable solution fatale, sans même nous en rendre compte, espèce par espèce, soigneusement, méticuleusement, selon les méthodes que nous haïssons sans nous révolter, en laissant nos gosses seuls avec l’image ravageuse qui se charge de leur éducation, l’image d’un rêve qui n’en finit pas d’échapper. Le culte du veau d’or a pris des proportions incomparables et la marche arrière ne suscite que du mépris, comme à Sodome, pour le prophète qui ne peut sauver que sa tête et une toute petite partie de sa famille. (On lit que la punition de son épouse fut assez salée !) Aucune image, aucune icône, aucune représentation ne peut grandir qui que ce soit, parce qu’elle remplace son propre imaginaire par un à peu près stéréotypé dont le seul but n’est plus maintenant que l’abrutissement des masses crédules, au profit immédiat de ceux qui instrumentalisent tout ce qui les touche, et tous ceux qui les approchent, soit-disant libres de consommer ou non.

L’espoir ne sert plus à rien parce qu’il est ridicule, l’espérance n’apporte pas grand chose par ce qu’elle est suspecte. Seule la mort peut sauver, mais la mort que chacun s’organise. Rentrer dans le rang en est une comme s’engager dans la résistance. Encore faut-il le savoir. Ne plus rien faire en est une autre à attendre que la fin soit proche comme s’activer jusqu’à l’épuisement ou courir le marathon. N’avoir plus de pensée accrocheuse ni même de désir important, n’avoir plus de regard ni d’écoute car ils obscurcissent la méditation.

Méditer sur rien, voilà bien une mort certaine. A moins que ce ne soit la vie !

Méditer et adorer sans bruit, sans objet de culte ni gain à recevoir ni promesse à rechercher. La lumière n’est-elle pas ailleurs qu’autour de soi ? Le sombre n’est-il pas attendu avec envie et crainte mêlées ?  La lune ne revient-elle pas périodiquement rencontrer le soleil ? Le cycle des jours, des semaines, des mois, des années ou des saisons ne nous sert-il pas de sécurité ? La terre qui nous soutient ajoute à cette paix jusqu’au moment où elle nous engloutit ! Un petit sommeil, une petite collation, un petit toit et quelques habits pour ne pas avoir froid et pour pouvoir se présenter à quelques autres. Voilà le nécessaire. Le reste n’offre guère d’intérêt. Et pourtant nous n’arrêtons pas de nous inquiéter pour toute chose futile, jusqu’à protéger d’un film la moquette qui protège le carrelage, ou encore poser des tapis sur la moquette qui cache le lino, lequel recouvre le revêtement d’origine, comme cela se fait dans les camping-cars ! Le rêve de l’escargot qui voyage avec sa maison !

L’homme est fou. Il est bien fou. Et ce qui me rassure, c’est que je suis aussi fou au point d’en faire partie encore, faire partie de cette folle humanité déshumanisée et riche en brutalité. Mais il n’y a là que pléonasmes. L’humain est brutal. Il ajoute à la violence de la vie et de ses actes l’intention de nuire pour son unique profit, et c’est bien cela la brutalité. Aucune espèce animale n’a inventé de la sorte la brutalité, même si la violence est en partage dans toutes les vies. Rien hélas n’est plus humain que le fait de la brutalité !

Voilà les nouvelles qui l’intéressent, je pense, et c’est pourquoi je ne lui en donne pas d’autres. Quand ça va mal, je n’ai pas envie d’en parler. Quand ça va bien, c’est vite fait. Mais la réflexion d’un être qui se débat dans ce monde étrange est un sujet qui peut l’intéresser. Etrange ! Il sait ! Etranger à sa vie, il connaît ! Errant comme un flâneur sur un chemin tracé pour un autre ! Erreur des pas qu’il prend pour les siens alors que les empreintes marquent l’avance de celui qui l’a précédé ! On pourrait dire : emprunté de marcher dans ses pas !

            Oui ! Il a marché avant moi ! Lui aussi dans un autre monde ! Pourtant, les coups de feu n'étaient pas fictifs ni virtuels . Mais la brutalité reste la même, sans limites, même si ses manifestations suivent la modernité !
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8 février 2008 5 08 /02 /février /2008 21:34

Il est ici question de deux mots qui résonnent en nous et semblent se faire écho. Pourtant, il serait bien difficile d'en donner une définition précise !

 

Ces mots résonnent parce que nous pouvons les associer à de nombreuses expériences vécues. Nous pouvons sentir combien ils nous touchent, combien ils nous parlent. Il nous faut échapper à toutes les théories établies d'avance pour échanger simplement.

Je voudrais faire un parallèle entre la main que prolonge le toucher, et la voix que prolonge la parole. Comme la main la voix est un organe. Comme le toucher la parole est un sens réflexif. Je touche et simultanément je suis touché. Je parle et simultanément je suis parlé, dans le sens où ce que je dis me dit aussi quelque chose. La parole me touche comme le toucher me parle. Et quand je touche quelqu'un par ma parole, je suis touché aussi par l'effet de ma parole. Si la voix est un organe il n'est pas possible de passer outre le fait que le langage, notre moyen privilégié de communication, soit lui aussi à considérer comme un organe.

 

J’énonce cette perception particulière des choses pour que vous saisissiez précisément à quel point je suis vigilant, ou dumoins j'essaie,  à ce que nul ne soit amputé ni de sa voix ni de sa parole ni de son écriture. Chaque organe est constitutif du corps de l'être humain et ce corps est plus qu'un ensemble de cellules biologiques. La parole participe de la dignité de chacun, de son intégrité et de sa spécificité. Nous pouvons échanger le plus simplement du monde à cette condition que cette parole individualisée soit présentée comme élément aussi important pour chacun que la prunelle de ses yeux, selon l'expression habituelle.

 

Ce qui découle de ce principe éthique, c'est qu'il convient de créer un espace vacant pour qu'une parole puisse s'y déposer. Si toutes les vasques sont saturées, je ne pourrais pas ajouter mon bouquet de fleurs et serais contraint d'avoir à le garder. Créer un espace entre nous, c'est limiter nos dires à l'essentiel. Nous n'avons pas beaucoup de temps pour nous permettre de parler pour ne rien dire. Comment faire ? Tout simplement parler de soi et de sa propre expérience de vie. Nous ne parlons pas de ceux qui sont impliqués dans nos relations, mais de nous-mêmes. Et dans les limites de cette simple règle, nous pourrons dire plein de choses intéressantes, intéressantes justement parce qu'elles nous touchent. Que chacun se rassure, à bien enregistrer cette consigne de confidentialité : tout ce que je dis ne parle que de moi, et je suis vigilant à ce que personne ne parle de moi, ne serait-ce qu’en répétant mes paroles sans mon accord. Je ne parle, je n’écris qu'en évoquant ma propre perception des choses.

 

Tout ce que nous pouvons dire ou écrire est déjà là, avant toute lecture ou écriture.

 

Se profile alors une éthique du commentaire de texte. Notre fâcheuse habitude est de maltraiter l’autre en maltraitant ses écrits. – « C’est bidon ! C’est mal écrit ! Son histoire est nulle !… » Si je ne parle qu’en fonction de ce qui me touche, je dirais plutôt que je ne comprends pas ou que je n’ai pas accroché à l’histoire.

             
 (Cet article ne s'arrête pas là ! Il sera poursuivi et modifié ! )
 
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6 février 2008 3 06 /02 /février /2008 06:45

Le fantasme se noue d’une série de productions imaginaires plus ou moins conscientes. C'est le sens le plus large que Freud a donné au mot. Il a longtemps cru que ses patientes avaient réellement été abusées par des proches. Mais la similitude de toutes les histoires le fit douter au point d’admettre par la suite que le vécu de ses patientes paraissait être une véritable construction imaginaire. Il nous reste cette notion dans le langage courant… « Attends ! Tu fantasmes là ! »

 

C'est encore tout frais à vos esprits : l'affaire d'Outreau dans laquelle trop de crédit avait été accordé aux dires des enfants.

Tous les éléments de la manipulation étaient présents dans cette sordide histoire. Il fallut un contexte social favorable dans une chronicité surprenante avec l'affaire Dutrou. Il fallut une médiatisation importante que le rapprochement des sonorités rendit encore plus populaire. C'était Dutrou à Outreau, mais cette fois avec en plus un réseau de notables, ce qui excitait notre appétit du sordide. Il y avait enfin la réponse aux rumeurs et tout le cortège des petites satisfactions d'un malin plaisir propre à chaque téléspectateur qui souhaitaient depuis longtemps que ces "pourris" soient finalement confondus. Mais n'oublions pas non-plus l'occasion pour un petit juge zélé de faire ses preuves, n’oublions pas la frousse des psychologues dans l'obligation d'adopter aveuglément le sacro-saint principe de précaution, nouvel évangile normatif d'une société à risque qui prône pour s’en défendre la tolérance zéro.

Cette histoire à elle toute permet de faire une place de choix à de nombreux fantasmes, lesquels ont animé en secret les uns et les autres dans les directions les plus variées.

Je souhaite non pas débattre de cet épisode juridique mais plutôt reconnaître qu'il existe un certain rapport entre les fantasmes et les désirs, des plus joyeux comme se tenir par la main pour faire un monde nouveau, utopique, jusqu'aux pires qui poussèrent les fous à la solution finale.

Peu importe qu'ils soient conscients ou inconscients, nos fantasmes nous proposent des images, des actes, des rêves, en un mot, (plus psychologique), des objets dont nous gardons les représentations plus ou moins précises et que nous prenons en compte malgré nous, il faut bien l'accepter.

Pour Freud, les objets imaginaires que nous avons créés nous mobilisent et orientent nos comportements dans la direction des satisfactions, pleines ou  partielles, de nos désirs. Il considère les fantasmes comme des désirs primaires qui restent inscrits dans notre psychisme en souvenir des vécus de plaisir précoces. Rêves, lapsus, mots d'esprit, actes manqués sont autant de comportements qui résultent de la recherche d'une petite satisfaction en lien avec ces traces mnésiques de plaisir.

Lacan transforme radicalement cette relation en faisant de ces objets représentés la cause de nos désirs. Il montre ici l'assujettissement du sujet aux objets imaginaires. Ce sujet divisé, pour cette raison, se tient à la disposition de quelque objet petit "a" dont il ne sait rien sinon qu'il reste en tension vers lui. Le "a" est ici représentation insignifiante de la cause de ses désirs. Ce n'est pas un signifiant mais une petite lettre. Il ne représente pas le sujet, mais la cause de ses désirs.

Le fantasme n'est plus alors la seule représentation imaginaire des quelques objets auxquels on s'accroche, mais il prend une définition toute particulière de par sa fonction, à l'intérieure d'une organisation structurée. Il est le lien qui relie le sujet $ (S barré) à l'objet "a". On l'écrit  :  $  <>  a .
 ($ poinçon a
)

 

Nous sommes ici au cœur de la théorie structuraliste de Jacques Lacan.

A la différence d'un système dont les concepts s'organisent les uns en s'attachant aux autres selon des règles immuables, la structure est constituée d'éléments qui interagissent entre eux non pas selon des règles mais selon des fonctions qui ne leur sont pas attribuées à l'avance. Nous ne savons pas quelle fonction va occuper l'élément nouvellement apparu dans la structure. Ainsi la pratique structuraliste paraît-elle plus dynamique dans la mesure où les fonctions animent sans cesse la structure alors que les concepts dans un système semblent devoir s'y figer à une place donnée. 

L'objet "a", la cause inconnue de nos désirs, nous poinçonne de sa marque indélébile. C'est la fonction du fantasme de nous marquer de son sceau au point que nos désirs tendent à la répétition, comme chacun en a déjà fait l'expérience. On le remarque bien dans le choix du mot poinçon, il témoigne plus d'une fonction que de la qualité de la trace laissée, quelle que soit sa forme, quelle que soit l'importance du sceau.


Le fantasme a ses raisons.

Le réel serait bien intolérable si le fantasme n'existait pas. L'objet réel "a" est déjà irrémédiablement perdu. En effet, nous ne le nommons pas. La naissance du petit d'homme est aussi la mort du nid fœtal et la séparation d'avec cette vie antérieure, intérieure, C'est aussi la coupure du cordon et l'ouverture des poumons. Le cri, premier et dernier, sera bien réel qui seul, éphémère, sidérant, risque cette aventure de laisser sans voix les "parlants" qui l'entendent, jusqu'au moment des premiers mots énoncés : "c'est un garçon" qui initient l'enfant dans l'ordre de l'imaginaire et du symbolique en fermant à tout jamais l'accès au réel. Désormais, toute tentative de préhension du réel sera échec et se soldera au mieux par une saisie imaginaire de quelque réalité bien éloignée du réel. Les éléments qui existaient avant ne nous seront jamais découverts sinon selon une perception nouvelle et singulière.

Pour palier le manque irrémédiable de ce qui est perdu, nous imaginons un lien, celui dont je parle, et ce n'est que pur fantasme. Rien de ce que je vous dis là n'est réel dans la mesure ou nul ne peut le montrer. Ce lien dynamique a pour fonction de nouer l'imaginaire et le symbolique au-dessus du réel dont nous pensons qu'il ne va pas surgir.

Quand il surgit, il se produit toujours un temps de sidération tellement "ça" manque de sens. Nous avons tous vécu quelques petits accidents. A chaque fois nous restons bouche bée, suspendus… Et puis nous disons que nous aurions pu l'éviter si… ou si… Nous disons aussi que c'est trop bête, que c'est un accident idiot. (Mais existe-t-il un accident qui ne soit pas idiot ?) Enfin nous fantasmons une rationalité quelconque à l'événement comme une punition ou encore, mais plus rarement, une bénédiction… Finalement nos fantasmes nous suffirons pour y trouver un sens, alors même que nous savons que "ça" n'en a pas, dans l'ordre du réel.

Le fantasme a pour fonction de palier la douloureuse division de sujet. Si, par exemple, nous avions conscience pleine et entière de notre assujettissement à la mort, aurions-nous besoin de vivre ? Si nous avions la perception réelle des horreurs biologiques qui font ce corps dont nous sommes esclaves, pourrions nous simplement dormir et lui faire entièrement confiance ? Quelques chocs inter-neuronaux suffisent à nous priver de la station debout. Quelques grammes de substance toxique nous transportent ailleurs.

Priver quelqu'un de ses fantasmes, c'est lui faire du mal. Ils ont pour fonction de venir obturer les orifices qui donnent accès au réel insupportable, mieux vaut donc les préserver. Les amoureux ne fantasment-ils pas qui se jurent fidélité et se promettent une nombreuse progéniture ? Ah ! Qu'il est bon de profiter de nos fantasmes !

Nous ne devons pas confondre le rêve et le fantasme.

J'ai rêvé que la Vénus de Milo avait des bras. L'un repoussait mes ardeurs, l'autre retenait le drapé que j'aurais souhaité plus lourd afin qu'il chutât.

Sa beauté la rendait inaccessible. Ses défauts même en faisaient une déesse. Tout désir était vain puisque nul espoir ne se profilait d'une quelconque pointe de satisfaction possible. Cependant, un gosse l'enlaçait, juste assez grand pour coincer son petit museau entre les cuisses de la belle. Lui au moins pouvait bénéficier de ses largesses, d'un amour ici fantasmé.

Qui donc rêverait ainsi s'il ne pouvait profiter de la merveilleuse et mystérieuse mécanique de ses représentations ? Qui aurait besoin de rêver s'il n'y trouvait l'issue à quelques désirs qu'il ne faille pas évoquer dans l'état de veille ordinairement vigilante ?  

Il est sûr que mon désir serait là que la Vénus adulée n'ait point de bras pour faciliter mon approche, et qu'elle ne fut pas de marbre, ce que peut-être j'ai reproché à cette mère dont je garde la représentation. Dans le rêve, lui donner des bras, c'est camoufler le désir en sachant très bien que ce n'est plus possible. C'est aussi permettre à l'enfant de bénéficier de ses caresses dans les cheveux, tandis que son étreinte garde le drapé en position de voiler ce qui doit rester voilé. L'identification à l'enfant n'est pas innocente non plus.

Je livre ce rêve, non plus dans sa première version puisque, au lecteur je m'adresse, afin de distinguer ce qu'il en est du désir relativement facile à débusquer de ce qu'il en est du fantasme dont l'énigme reste ici tout entière. Certes, au premier degré, je pourrais être accusé de prendre mes désirs pour des réalités, selon l'usage courant. Mais pour ce qu'il en est de la part inconsciente, qu'en dire ? Et là vous découvrez qu'il ne peut se dévoiler partiellement qu'en présence d'un autre, à l'endroit même où sera lu le poinçon qui scelle de sa fonction dynamique le lien entre le sujet divisé, et l'objet "a", cause de son désir. Ce n'est pas le rêve qui est important, mais le fantasme. Le rêve sera raconté d'une certaine façon, en présence de tel interlocuteur et dans des circonstances telles qu'il sera nécessaire de conjoindre au récit bien d'autres éléments contextuels afin qu'il prenne forme de discours, c'est à dire qu'il se modélise dans la forme habituelle de la structure singulière du discours du sujet.

L'objet d'amour ne se superpose pas à l'objet du fantasme. Une expérience simple nous a souvent fait réfléchir à ce sujet. Qui n'a pas eu le plaisir d'acquérir une nouvelle voiture depuis longtemps attendue ? C'est celle-là que je veux, sa couleur, sa forme, le service après vente… On tourne autour, on la découvre, on joue avec l'allume cigare et l'ordinateur de bord. On bascule les sièges arrières pour voir la taille du coffre. Et très vite, nous repérons ce qui manque. L'éclairage du coffre, le variateur d'éclairage du tableau de bord, la montre à aiguilles, le second compteur journalier… Des bricoles au regard de ses réactions bizarres sur route défoncée… L'objet du fantasme n'est pas l'objet d'amour. La prochaine voiture se garera toute seule… Et les sièges seront chauffants, avec réglage individuel…



            Nous avons bien du mal à repérer ce qui noue le fantasme. Et c'est pour cette raison que nous sommes heureux de n'avoir pas cette obligation hallucinante d'être confronté sans cesse au réel.
            Fantasmons donc encore !

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30 janvier 2008 3 30 /01 /janvier /2008 22:20

La marge dans le Petit Robert de 1973 : bordure autour du texte sur une feuille de papier,

            intervalle d'espace ou de temps, latitude disponible entre certaines limites,

marge de liberté, marge de réflexion, marge d'erreur, marge d'action,

marge de tolérance, (tolérance zéro), marge de sécurité, (zone de risque),

marge de manœuvre, (espace de mouvement), marge commerciale, (obligation-survie)

en marge de la société, (à l'écart des préoccupations sociales).

 

L'inscription : ensemble des signes gravés ou imprimés sur un support :

            l'inscription sur un registre signifie l'appartenance à un groupe ou à une catégorie :

            citation, immatriculation, conscription, inscription en faux, (aller contre, s'opposer),

inscrire une forme dans un ensemble déterminé, ( math),

inscription comme adhérant à un même comportement ou travail.

 

 

NOTE SPONTANEE. S'inscrire dans la marge signifie a priori l'engagement à sa mise à l'écart par rapport à une forme acceptée par tous ou un texte duquel on décolle afin de l'annoter ou le commenter. Mais à y regarder de plus près, l'inscription de ce genre suppose qu'elle soit adressée à un autre qui aura :

soit à partager les annotations, ce qui revient à participer à cette mise en marge ;

soit à s'inscrire lui-même en faux pour adhérer au texte ou s'y opposer sur un autre mode.

S'inscrire en faux aux inscriptions marginales malheureusement est le plus souvent considéré comme une adhésion à la page du texte, selon notre logique dualiste.

Le travail dans la marge est toujours singulier et la façon de s'y inscrire ne peut se comparer à aucune autre. Ce travail est donc exceptionnel parce qu'il est incomparable.

Cela mérite une observation. Depuis peu, la provocation est évoquée systématiquement à l'occasion de n'importe quelle inscription en marge de la norme sociale. Or la provocation est récupérée par le système qui en fait l'éloge en tant que modèle de socialisation. Voir les soit-disant comiques. Voir les panneaux publicitaires de Benneton.

 

QUESTION D'ACTUALITE. Y a-t-il un au delà de la mondialisation ? Ou encore, les adeptes de la mondialisation, ceux qui y croient comme à une nouvelle religion, ne deviennent-ils pas aveugles à ce qui échappe à cette mondialisation ? (Ce qui échappe concerne presque toujours de rapports humains entre quelques uns, depuis les liens intimes conjugaux ou filiaux jusqu'aux sentiments de nationalisme.)

 

J'ai pensé !

Je reste là à penser !

Je penserai encore, du moins je l'espère !

Je ne sais que très peu de choses sur moi-même !

Je sais par contre ne connaître absolument rien de vous !

Enfin, je reconnais que ce que je crois savoir n'est qu'illusion ! Ou plutôt représentation !

 

Nous faisons ici le lien avec la culture. Et chacun connaît le danger de se référer à la norme culturelle qui, pour modèle qu'elle soit, n'en est pas moins impuissante à m'apprendre quoi que ce soit sur le proche qui vit à mes côtés. Il reste singulier, et tout particulièrement éloigné de cette norme. Il est singulièrement inscrit dans la société présente autour de moi.

 

Je découvre jours après jours l'empreinte tracée en moi d'un apprentissage intensif de la normalité conjoncturelle. Il suffit de décrire le contexte d'une situation et le co-texte d'une énonciation pour s'apercevoir combien la perception des éléments s'en trouve modifiée. Il arrive à chacun de trouver soudain quelque intérêt nouveau pour un inconnu après qu'il ait été présenté comme une personne exceptionnelle par ses expériences vécues.

 

Mais je suis désolé de m'exprimer en notant "je", ce qui n'est pas de bon ton, ni bienséant. "On" eut été plus correct ! Mais "on" s'en passe puisque "on" passe pour personne !

 

Si j'ai pensé, c'est que je pense avoir pensé ! Oh ! J'en doute, bien sûr ! Et là, rien d'exceptionnel ! A moins ! A moins qu'il soit exceptionnel de penser, ce qui pourrait laisser supposer suspecter que d'aucun oubliât de penser ! Hélas oui ! Nous savons que le fait de penser n'est pas universel. Pour certains, à quoi bon ! Penser, c'est tourner en rond puisque l'objet de cet acte de penser reste à jamais "le penser lui-même.

 

Question ! Est-il possible ce creuser un puits dans un puits ? Est-il possible que soit réinventée l'humanité dans l'humanité même ? Et, finalement, la conscience peut-elle étudier la conscience ?

Je ne peux pas dire oui ! Mais je pense que oui ! Je crois que c'est possible à cette condition impérative qu'il y ait un reste, un reste auquel nul n'aura jamais accès !

 

Penser à penser, ou encore penser le penser n'a rien à voir avec le puits, entité terminée, bien délimitée dans sa fonction de réserver l'accès à l'eau. Il arrive pourtant d'imaginer la pensée comme un puits sans fond. Nous décrivons ici, bien précisément, le non-délimité qui offre à ouvrir sur un reste, sur un concept de reste. J'aurais beau penser l'humanité, elle me restera toujours étrangère en raison justement de ce reste inaccessible.

 

Aussi ai-je à cœur de creuser dans ce qui reste afin d'approfondir ce puits de pensées au fond improbable. D'aucun s'abstiendrait de creuser alors qu'il convient pour d'autres de ne jamais s'arrêter. C'est en cela que nous pouvons accepter que le singulier trouve à se satisfaire de sa position. Mais le "normal", s'il existe, abondement médiatisé, impose que la démarche singulière s'inscrive dans le rang, se range dans les rayonnages ad hoc, pour le bien public et souvent en son nom.

("Attends, mais c'est pour ton bien que je t'impose cela !" Et depuis peu, il est inconvenant de s'embrasser trop longuement dans les couloirs du lycée !)

 

Alors, la question qui se pose ici se présente sous cette forme : comment le singulier peut-il s'inscrire dans le rang si son expression favorite s'épanouit dans la marge ? Comment l'exceptionnel pourrait-il se normaliser ?

 La seule réponse est que la marge a une fonction bien précise. C'est elle qui borde le rang. La marge est à définir comme la limite des éléments du texte. Marge d'erreur, marge de manœuvre, marge de liberté, marge de profit, marge fonctionnelle sans laquelle tout se grippe comme des engrenages sans jeu. Et ne pas jouer le jeu, c'est risquer d'être pris en grippe !

 

En marge, le jeu, la simulation, l'essai de mise en scène, l'entraînement et la vérification, en font la possible flexion des limites qui fait réflexion sur la norme et rend possible les règles, rend vivables les échanges et rend profitable le commerce. (S'il est équitable !)

 

Quand les règles d'un pays rendent invivable la situation naît alors la contrebande, le commerce en marge.

Quand l'hégémonie impérialiste rend insupportables les échanges internationaux alors naît le terrorisme, c'est à dire la guerre sous des formes nouvelles, voire marginales.

 

Le phénomène social auquel nous assistons aujourd'hui tient à une forte instrumentalisation de ce qui se passe en marge, au point de la nommer nouvellement zone d'exclusion. Les marges sont toujours nouvelles et repoussées plus loin. (Jamais il n'y a eu de secrétaire d'état à la marginalité comme il existe désormais un secrétaire d'état à l'exclusion.)

La provocation est devenue la nouvelle façon d'accéder à la médiatisation.

 

Si Coluche avançait la vulgarité, il faut maintenant que les nouveaux comiques bigarrés aillent jusqu'à la grossièreté et au delà ! Et la femme, mais dans les représentations seulement, paraît-il, reste l'objet des plus grandes discriminations. C'est au point qu'il n'y aura bientôt plus que des homosexuels pour demander le mariage !

Si les franges néo-fascistes ne sont plus qu'une marginalité sous surveillance, Maxime Brunerie a bien tenté l'exploit pour devenir quelqu'un. C'est dire que la course à la distinction n'aura pas d'obstacle avant bien longtemps, à moins que la tolérance zéro ne grippe tous les rouages de la société, auquel cas il n'y a plus qu'une course pour la survie.

 

On le voit, la marge ne reste pas la marge. Elle migre vers les bords. Elle est rattrapée sans arrêt par une législation toujours en retard. Elle se décline au présent sans avoir de futur.

La marge est ce petit reste qui nous fait dire que le texte est "envahissant jusque dans la marge". La marge est ce qui dépasse du support sur lequel se déroule l'humanité vivante.

Qui s'y inscrit est un nomade dont le dos reçoit les piques de la foule. Certains parfois se retournent et s'appèlent alors le Christ, ou le Ché ou Gandhi, tant qu'ils représentent l'espoir d'un salut. Vous le savez, leur vie ne tient qu'à un fil. C'est le fil qui sert à coudre l'étiquette sur leur être. Nul ne sait s'ils s'y inscrivent en tant que personnes volontiers émargées ou s'ils sont socialement disposés à la marge comme manœuvrés par des forces qui disposent de leur charge, ou encore comme disposés par des truands qui les prennent pour otages.

 

Dans tous les cas, ce qui tient lieu de dynamique pour toute prise de conscience de la vie communautaire c'est ce qui se passe dans la marge. S'y inscrire est exceptionnel mais ne laisse rien présager des caractéristiques humaines de celui qui s'y est inscrit. Par contre l'être exceptionnel, parce qu'il a conscience de sa singularité, aura toujours comme caractéristique particulière de penser les limites de l'humanité au point de poser des notes jusque dans la marge. Et s'il signe ses annotations, c'est qu'il s'inscrit dans la marge. Bravo !

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30 janvier 2008 3 30 /01 /janvier /2008 21:11

L’interdit de l’inceste est constitutif de notre société. Il contribue à trois fonctions majeures.   -    Il permet d’instituer pour chacun une place dans la génération.

-        Il autorise chacun à porter un nom dans la filiation.

-        Il vise à donner un corps à l’humanité vivante.

-         

Toutes ces fonctions construisent pour le sujet un lieu où il peut être, dans l’intégrité ouverte d’une peau dont la mission la plus humaine consiste à servir de support à la parole. Ce lieu est appelé corps, et ce corps étrange n’est approché que dans la symbolique du langage.

 

Serions-nous à ce point touchés par la parole de l’autre si le mot touché lui-même n’avait cette force tactile qui lui vient de sa naissance dans la texture de la chair et sur le bout des doigts ? Toutes les paroles qui nous touchent jusqu’à l’intime de notre cœur sont soutenues par les métaphores qui relèvent du corps et de ses organes. J’en mets ma main au feu. Et que mon sang se fige dans mes veines si je m’égare, dans un aveuglement soudain qui me ferait trébucher. Que voudrait dire l’avoir dans la peau ou bien lui trouver le cœur sur la main, ou encore s’arracher les yeux à la lecture d’une infamie ?

 

Le corps de l’homme a ceci d’exceptionnel qu’il a des mains pour toucher, saisir et dé-saisir, douées d’un sens tactile très perfectionné, et d’une voix pour parler, crier, chanter, dire avec tous ces symboles élaborés que sont les mots. Ce qui fait contact, chez l’homme, c’est un corps à cœur et non un corps à corps qui serait plus caractéristique de la risque. Ce corps à cœur révèle la nécessité d’interprétation de la parole adressée à l’autre dans le risque de l’échange des symboles qui touchent, même parfois dans le silence. Chacun traduit la parole de l’autre depuis le lieu où il se sent touché. Ce qui a pour effet que le sujet ne sait pas ce qu’il dit quand il parle puisque que ses mots n’ont de sens que pour l’autre qui les transcrits. Même son silence est messager parce que l’autre sait que l’être-là en sa présence est un corps qui parle, ou encore un être parlant qui se tait.

 

Parler à l’autre, se soutenant du geste des mains, c’est désirer l’approcher avec tact et tout à la fois lui signifier la séparation entre les corps, lesquels se trouvent déplacés par les mots dans leur émotion ou leur sensation. Refuser le respect de cette distance des corps, c’est faire main basse sur l’autre, c’est le réduire à une saisie, comme dans l’ordre juridique. Cette main mise sur le corps devenu objet se noue à l’étouffement de la parole qu’il s’agit de faire taire. Empêcher de parler, c’est une volonté qui accompagne toujours la capture de l’autre en son corps dans une proximité pétrifiante. Il faut nommer ceci le viol, toujours incestueux, dont les effets sont l’amputation de la voix, cet organe qui est au cœur ce que la main est au corps, dans un prolongement des sens vers l’expression, et la privation de l’usufruit de son corps. Si l’expression est réprimée, l’impression creuse des traces profondes à même la peau.

 

La mutilation du corps par l’obturation des ouvertures provoque l’exil de cette place attribuée dans la génération, remplace le nom par les injures portées à la victime et empêche le bon développement du corps dans l’humanité vivante. L’être violée par un parent témoigne qu’elle n’est plus qu’une béance sombre depuis les cuisses jusqu’aux poumons et que son cri ne sort plus des tripes mais se construit depuis l’abîme qui lui est intérieur, marquant ainsi l’exil de son corps meurtri, et de son être étouffé.

 

A décrire l’horreur de l’incestueuse consommation, nous voyons combien sont liés le corps, les mains et la parole dans une danse incessante du réel, de l’imaginaire et du symbolique qui poinçonnent l’homme de son empreinte dans l’humanité.

 

La parole s’organise en corps de texte et le corps se plie au langage qui le décortique avec tact. La parole fait le corps d’où elle s’extirpe en s’y appuyant. L’homme est ainsi fait des effets de langage.

 

Ces quelques lignes pour réfléchir après lecture de « La main de l’autre » de Joël Clerget

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