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  • : Le blog de topotore
  • : Les mots invitent à leur traduction afin d'entrevoir sur le mode singulier de chacun cet "au-delà de la langue" si étonnant. La poésie illumine cette frontière.
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29 décembre 2012 6 29 /12 /décembre /2012 14:33

  Octobre 2009

 

L’occupation majeure de ce peuple est de survivre.

L’occupation de ses terres en fait un enfer depuis soixante ans.

 

J’ai rencontré Max. Il est très préoccupé par la santé de son père. Ce dernier donne encore l’impression d’une joie profonde intérieure qui ne semble pas pourvoir le lâcher malgré les souffrances que lui occasionne la maladie. Il ne mâche pas ses mots : "je me suis toujours battu contre l’injustice, certes, mais surtout et avant tout pour la dignité de l’être humain. La maladie me terrasse, mais pour moi, c’est physique. Je veux que mon psychisme et mon mental restent debout. Mon fils, promets-moi de veiller à ce que je ne perde pas la tête. Et si ce malheur arrive, accorde-moi de partir dans la dignité. Je veux bien que ma vie se termine, mais je veux en être digne. La gravité obligera mon corps à rester allongé, mais je souhaite qu’aucune gravité, de quelque ordre qu’elle soit, ne m’ôte cette sensation vivante de me tenir droit."


Max entend souvent ces mots dans l'intime de son cœur. En marchant vers le passage Léo Ferré, il se les redit et songe aussi à tous ceux qui honorèrent cette lignée d’homme debout, chacun dans sa puissance d’être singulier. Il regarde les ruines du Toursky et salut le courage de ceux qui œuvrent à le remonter, malgré le peu de moyens dont ils disposent, puis il s’engage dans le tunnel creusé sous l’Avenue Edouard Vaillant où passe tous les jours une nuée de petits gamins piaillant jusqu’à l’école, mais il remarque devoir se baisser un peu pour ne pas se cogner. Voilà ce à quoi nous oblige l’occupant, pense-t-il. Il veut que nous nous baissions, nous abaissions même. Il veut que nous devenions soumis comme des bêtes de trait, bêtes somme toute conditionnées à jouir des contraintes mêmes auxquelles ils nous soumettent. Condamnées à jouir des contraintes ! Condamné à jouir des contraintes ? Voilà ce que je refuse. Ce n’est pas ce que mon père m’a enseigné. L’ascèse n’est qu’une pure satisfaction de soi-même.... Attends ! Où as-tu trouvé ça ?

Au bout du petit tunnel, il se torturait encore les méninges au point d’en oublier de relever la tête quand Ouahib l’interpella. "Eh ! Tu me parais bien pensif ! Un poids quelconque ?" Lui dit-il en l’aidant à se redresser avec une main sur le haut du dos et l’autre sur le devant de son épaule affaissée.

"Tiens ! Ouahib ! Ca me fait plaisir de te rencontrer. Je suis en train de me demander qui a bien pu dire que l’ascèse n’était qu’une pure satisfaction de soi-même. Bizarre ! Non ! Je ne sais même plus pourquoi je pensais à ça !"

"N’y pense plus ! Nous avons d’autres priorités ! Comment va ton père ? Redresse Ouahib qui ne sait pas non plus qui a donné cet enseignement."

"Il souffre beaucoup. Mais il a encore toute sa tête et son ardeur à résister me donne des forces. Tu sais ce qu’il m’a dit ce matin ? --- "Max, a-t-il commencé, quoi qu’ils disent, quoi qu’ils promettent, c’est de la propagande, c’est de la manipulation. Ce qu’ils veulent, c’est la fin des petites radios contestataires qui les dérangent. Galère, Zinzine, Grenouille, tout ça, leur but est de tout supprimer. La force du pouvoir financier, c’est d’occuper tout le champ de la communication, tout le champ de l’information, tout le champ de la distribution, tout le champ de la presse, tout le champ de la culture. D’ailleurs, ils ont commencé à Aix. Chacune des grandes enseignes de distribution a déjà ouvert des petits magasins de proximité, parce que beaucoup de clients commencent à se lasser des grandes surfaces. Je les imagine déjà acheter des terrains agricoles et les louer à des petits producteurs auxquels ils soumettront leurs règles pour une rentabilité optimimale tout en faisant croire aux ménagères qui aiment faire le marché qu’elles ont à faire aux bons vieux paysans. Même l’approche vestimentaire leur sera imposée !  

 

Je voudrais te dire autre chose sur la culture. Ils n’en veulent plus des Ferré, des Vian, des Nougaro, des Gatti, des Martin ! Ce sont tous des contestataires ! Non ! La culture qu’ils veulent promouvoir, c’est le sport et le divertissement comme les jeux inter-ville, tout ce qui peut donner à l’écran sa raison d’être à raison de trente quatre centime le SMS, sans compter les surtaxes ponctuelles...

Mon fils, je vais partir ! Mais je ne regretterai pas d’être parti. A vous, maintenant de résister aux nouvelles invasions de flashball et autre taser, de traces électroniques et de mouchards miniatures, de nano molécules et de macro profits. Le ciel vous voit, le ciel vous contrôle, le ciel vous endort, le ciel vous punit, le ciel vous délocalise, le ciel vous exclue, le ciel vous anéantit si vous levez les yeux, le ciel ne vous connaît pas sauf si vous voulez lui acheter quelque chose. Le ciel n’est plus libre, il est occupé. Le pouvoir s’en est emparé.

Le pouvoir a volé le ciel. Il va le peindre en gris et bientôt en rouge, quand vous ne servirez plus à rien. Tout prend le goût de la mafia. L’instrumentalisation n’a pas de limite. Ce matin même, sur les ondes de France Invest, leur grand expert s’est même emparé du mot résistance pour le vider de toute la substance dont nous le chargeons, Jacques Altari, je crois ! Même les mots sont sous occupation, honteux de s’abaisser sous leurs coups malhonnêtes ! Il te faudra dire non, ne serait-ce que pour te sentir droit !"

 

Max ne s’est pas arrêté pour dire les phrases de son père. On dirait qu’il a déjà tout appris par cœur. Ouahib serre la main de Max et lui dit juste ces quelques mots : "ton père, il est comme ces gens que nous aimons au Toursky. Quand on parle avec lui, ou même quand on reste auprès de lui sans parler, on a l’impression de grandir. On a l’impression de résister à la gravité. Retourne vite auprès de lui. Qu’il ait la joie de serrer ta main quand il partira. Il t’attend, pour te dire au revoir."

Dans la soirée, une mémoire s’est effacée, résumée dans les sillons d’une main.

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commentaires

R
<br /> Comme toujours, un texte très bien écrit et très prenant.<br /> <br /> <br />
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