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  • : Le blog de topotore
  • : Les mots invitent à leur traduction afin d'entrevoir sur le mode singulier de chacun cet "au-delà de la langue" si étonnant. La poésie illumine cette frontière.
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26 février 2012 7 26 /02 /février /2012 22:36

Je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager cette prose poétique où s'entrelacent le vrai et le faux, dans une jouissance fièvreuse des mots qui se déroulent sur la brume soyeuse des sensations.

 

 

Le livre de l'intranquillité Fernando Pessoa

Fragment 341

 

 

J'enregistre jour après jour, dans mon âme ignoble et profonde, les impressions qui forment la substance externe de ma conscience de moi-même. Je les mets dans des mots vagabonds qui me désertent sitôt écrits, et se mettent à errer, indépendamment de moi, par coteaux et prairies d'images, allées de concepts, sentiers de chimères. Tout cela ne me sert à rien, car rien ne me sert à rien. Mais je me sens soulagé en écrivant, comme un malade qui soudain respire mieux, sans que sa maladie ait cessé pour autant.

 

Certains, distraits un instant, écrivent des gribouillis et des noms absurdes sur leur papier buvard, calé aux quatre coins dans le sous-main. Ces pages sont les griffonnages de l'inconscience intellectuelle que j'ai de moi-même. Je les trace dans une sorte de torpeur où je me perçois, comme un chat au soleil, et je les relis parfois avec une vague et tardive surprise, comme si je me ressouvenais soudain d'une chose depuis toujours oubliée.

 

Lorsque j'écris, je me rends visite solennellement. J'ai des salons spéciaux dont quelqu'un d'autre se souvient, dans les interstices de la figuration, où je me délecte à analyser ce que je n'éprouve pas, et où je m'examine tel un tableau dans l'ombre.

 

J'ai perdu, avant même de naître, mon château du temps jadis. On a vendu, avant même que je sois, les tapisseries de mon château ancestral. Le manoir d'avant la vie est tombé en ruine, et ce n'est qu'en de rares instants, lorsque le clair de lune naît en moi, éclos des roseaux du fleuve que me pénètre, glacée, la nostalgie de cette contrée où les restes édentés des murailles se découpent, noirs sur le bleu sombre du ciel teinté d'un blanc-jaune laiteux.

 

Sphinx, je me déchiffre par énigmes. Et des genoux de la reine que je n'ai pas connue tombe - tel un épisode de sa broderie inutile - la pelote oubliée de mon âme. Elle roule sous le chiffonnier à marqueterie et quelque chose en moi la suit, comme feraient des yeux, jusqu'au moment où elle se perd dans une horreur profonde de tombe et d'anéantissement.

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