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  • : Les mots invitent à leur traduction afin d'entrevoir sur le mode singulier de chacun cet "au-delà de la langue" si étonnant. La poésie illumine cette frontière.
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20 septembre 2009 7 20 /09 /septembre /2009 22:54

 

 Construire un récit avec des mots relatifs à la mer dont la première lettre suit l'ordre de l'alphabet.

 

 

 

A peine avions-nous terminé notre pastis que les amarres se sont rompues. Quatre rondelles de saucisson s’échappaient de l’assiette creuse et, rouges de leur fugue, roulaient jusqu’à l’eau couleur de jade sombre. Nous avons souri et relaterons souvent ce petit détail en racontant notre histoire romancée.

Pourtant, une bourrasque nous avait bien alertés. Mais les creux qui suivirent  emportèrent le cordage en déchirant la toile de poupe, un grand drapeau français, tendue pour notre intimité contre les regards indiscrets des touristes. Emportés jusqu’au milieu du port par les crêtes qui nous soulevaient, flottant et ballotant comme un frêle esquif à la dérive, mouillés du grain  des embruns qui hurlaient leurs cris iodés et écumants, nous jetions la table et ses effets pour faire de la place, coiffions nos képis blancs, acceptions l’ordre des choses et larguions... notre frousse, mais fiers et aussi droits que possible, bien qu’un peu éméchés.

L’un, au mât de misaine, deux autres au grand mât, le dernier à la barre pour éviter le naufrage ! Les gris de l’atmosphère s’accordaient aux gris dans nos têtes.

Le barreur avait pris les commandes. Un des rares officiers de la légion à aimer la voile ! Le plus souvent, ils aiment plutôt le voile, ou même les voiles.

Nous évitâmes de justesse la bôme qui empanna brutalement et, de justesse aussi, le pointu vert tendre qui rentrait sagement au moteur. Dans l’urgence  nous retrouvions nos esprits, tout comme le barreur qui choisit un cap, un vrai cap vers la sortie. Un petit travers nous aidait à prendre la passe en son milieu et les déferlantes sous un bon angle, du moins selon son point de vue.

Admirable ! A la barre, un chef ! Nous reprenions un ris, prenions de la vitesse, mais aussi une gîte plutôt inquiétante sur babord.

 

 Le capitaine en voulait. Les winchs commencèrent à user nos muscles. Le petit Xenakis, fier de ses dix huit pieds comme de ses peintures bleu de Prusse et blanc laiteux, semblait hurler sur des flots outre-mer de plus en plus rugueux et bleu-noirs.

 

Le capitaine accompagnait les plongées profondes de la proue par des youh  peu rassurants. Mais s’il se montrait efficace à la barre, pour ce qui était de la météo, il devait encore beaucoup apprendre.

Quand le remorqueur fut arrivé sur zone, du gris, nous étions passés au blanc, plus blanc que nos képis. Nos corps musclés fondaient comme des cierges chauds. Le soleil, sûrement au Zénith, se cachait sous d’épais cumulus noirs qui nous tassaient dans l’ombre. Le grand mât s’était arraché et nous dérivions sous les assauts de brisants déchaînés. Encore un peu et nous prenions le large pour toujours si nous avions dépassé l’Ile Verte !

 

De retour à Aubagne, en souvenir de notre histoire, nous avons vite pris l’habitude d’inviter nos amis à boire le pastis en précisant : mais, rassurez-vous, le saucisson, oui, le Xenakis, non.

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