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  • : Les mots invitent à leur traduction afin d'entrevoir sur le mode singulier de chacun cet "au-delà de la langue" si étonnant. La poésie illumine cette frontière.
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24 décembre 2012 1 24 /12 /décembre /2012 18:26

  Septembre 2009

 

L’occupation majeure de ce peuple est de survivre.

L’occupation de ses terres en fait un enfer depuis soixante ans.

 

 

J’entends du bruit dans la rue. Des cris, des pleurs, des hommes, des femmes, des enfants. Mais il est tôt ! Sept heures ! Le jour à peine levé !

Je me lève, enfile ma robe de chambre, ouvre délicatement un volet du séjour qui donne sur le petit jardin. Dans la rue, une scène invraisemblable ! Tout est bloqué ! Des soldats maintiennent mes voisins, même les enfants, sur le trottoir, devant les grilles. D’autres déménagent tout ce qu’ils trouvent dans la petite maison, sans ménagement ! Un vrai dé-ménagement, dans tous les sens du terme ! Devant mon jardin, tout s’entasse en un amoncèlement incroyable, et les douze costauds assurent un rythme soutenu. Le long du trottoir d’en face restent sagement alignés les véhicules de transport de troupe, chargés de jeunes soldats sur le qui-vive, près à intervenir au moindre coup de sifflet. Plus loin, sur la gauche, des camions de déménagement, sûrement chargés à bloc vue la hauteur du bas de caisse. Derrière les grilles de chaque petite maison du boulevard s’entrouvrent un ou deux volets, silencieusement. France Invest diffuse les infos ! « Le boulevard Bézombe est enfin en voie de normalisation. Il est à noter que tout se passe dans le calme depuis six heures ce matin, et que les habitants dont les titres de propriété se sont révélés illégaux n’opposent aucune résistance. »

« Ce quartier tranquille de la Pomme sera très prochainement assaini, nous assure le maire des lieux, et notre petite commune pourra sans encombres assurer la protection du grand mur de sécurité qui nous sépare de Marseille la rebelle, là même où se trouve le plus grand poste de contrôle des allées et venues sur le flan Est de la bande de Paca. »

 

Mes voisins, les deux petits blottis dans les bras, restent là, devant le tas où se sont enchevêtrés lits, armoires, chaises, vélos et vêtements, tables, livres, serviettes et draps de bains. Une brosse à dent se dresse sur le sommet, plantée comme un fanion de victoire. Geste ultime et dérisoire d’un costaud poète ! L’armée forme un mur dense qui coupe la voie en deux, et l’installation des nouveaux propriétaires commence. Les mêmes costauds entament le travail inverse sous les yeux bienveillants des heureux arrivants.

 

Je descends les trois marches pour inviter mes voisins à entrer chez moi. Le père ne veut pas quitter l’amoncèlement qu’il craint de retrouver pillé ou saccagé. Je prépare une boisson chaude quand le téléphone sonne.

 

Une voix me dit simplement qu’il faut que je me prépare à vivre la même chose dans les jours qui viennent. Je raccroche et m’occupe des mes protégés de l’instant, en essayant de cacher mes sentiments. Mais le petit sursaut des sourcils de la femme en pleurs me dit, tout à l’instant, la résignation, la compassion, la solidarité, la compréhension, l’encouragement, et la fin des illusions.

 

 

 

 

 

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