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  • : Les mots invitent à leur traduction afin d'entrevoir sur le mode singulier de chacun cet "au-delà de la langue" si étonnant. La poésie illumine cette frontière.
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23 décembre 2012 7 23 /12 /décembre /2012 18:10

 

  Août 2009

 

 

L’occupation majeure de ce peuple est de survivre.

L’occupation de ses terres en fait un enfer depuis soixante ans.

 

Pourquoi la Place Estrangin est-elle interdite aux marseillais ? Des blindés préviennent de tout accès, même à pieds. Jusque là, les riverains de la rue d’Armeny et de la rue d’Arcoles devaient se munir d'un laissez-passer renouvelable tous les six mois. Depuis peu, ils doivent le renouveler tous les trois mois, avec une liste de documents impressionnante pour justifier de leurs droits à vivre chez eux. A la préfecture, juste à côté, la queue s’allonge tous les jours et l’attente fait souvent perdre une journée entière. On demande la facture EDF la plus récente. Mais chacun sait que les services postaux ne fonctionnent plus. De plus, la distribution de courant laisse à désirer. Une heure par jour ! Quand la facture arrive, elle date souvent de plusieurs mois. Le cachet de la poste ne faisant plus foi, le guichetier prétexte que la dite facture n’est pas récente et refuse d’accorder le renouvellement du laissez-passer. Pour le gaz, c’est pareil ! Quand à l’eau ! L’occupant ne laisse plus qu’un goutte à goutte et tous vérifient sans arrêt que le grand bassin, tout en haut de Périer, est vide.

 

Yan s’attend à ce que ses documents ne soient plus valables. La journée passée debout sur le trottoir l’a épuisé. Il a soif, faim et chaud. Ses forces lui font défaut et la moindre contrariété risque de lui donner le coup de grâce. Il sent que rien ne va se passer comme il faudrait.

Déjà, devant lui, cinq personnes ont fait la queue pour rien. Elles devront revenir le plus vite possible car leur papier expire dans quelques jours. Jamais il n’avait vu des visages aussi absents, des regards inversés qui ne voient plus qu’en dedans une misère fleuve, un désespoir gouffre et une fin définitive. Yan est jeune mais il se sent vieux. Il a toujours vécu sous l’occupation et se rend compte des dégâts irrémédiables sur les personnalités, toutes écrasées lentement dans un tout petit nombre d’années. Il suppose que son regard est aussi fermé que ceux qu’il a vus. Il repense à sa jeunesse que ses parents avaient entourée de mille contes de fées afin de masquer la dure réalité. Il se souvient de l’école et des parties de ballon autour de la fontaine, devant la Banque de France, dont il mesurait déjà toute l’importance. Il se souvient des avantages du métro qui les menait à la Rose en quelques minutes pour rendre visite aux grand-parents.

 

Arrive son tour. Tout va bien ! Sauf sa carte d’identité. Yan Miloud Armand Massahoui ! Voilà une identité bien délicate à vivre dans le climat du moment !

En une fraction de seconde, il fait le rapprochement entre ce nom et celui du dernier résistant soupçonné d’avoir fait sauter le train à Venelles, celui qui transportait les financiers de Gap. L’accord entre les régions n’aura pas pu être signé ! Terrorisme !


Il referme ses documents dans la chemise et se glisse comme un serpent dans la queue pour atteindre la sortie avant que le préposé n’ait eu le temps de réagir.

Dehors, il respire et rassemble ses dernières forces pour paraître normal. Le temps de passer chez lui et de dire à sa femme qu’il va se cacher jusqu’à nouvel ordre, et il marche. Il ne sait tout d’abord où aller, mais ses pas le dirigent vers la gare Saint Charles.


Sous les grands escaliers, dans les poutres et les poutrelles, il se hisse et se cache. La première nuit sera longue mais pleine de conseils. Demain ! Demain, je réussirai à prendre un train. Je ne sais pas comment ! Il faut sortir de la bande de Paca !

 

 

 

 

 

 

 

 

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