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  • : Le blog de topotore
  • : Les mots invitent à leur traduction afin d'entrevoir sur le mode singulier de chacun cet "au-delà de la langue" si étonnant. La poésie illumine cette frontière.
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5 mai 2012 6 05 /05 /mai /2012 00:00

Maya sort du lycée à dix huit heure accompagnée de quelques copains et les abandonne à la Brasserie de la Butte sous le prétexte d’une petite fatigue. Elle grimpe très vite les sept étages raides qui la mènent jusqu’à sa chambre de bonne tout au fond du couloir tortueux.

Elle jette son porte-document sur la table étroite qui sert de bureau, de coiffeuse et de déserte au profit de l’égouttoir du lavabo dont la surface se fait utile pour la préparation de ses maigres repas. Puis elle se jette sur le lit et ne bouge plus.

Soudain, une image repasse devant ses yeux pourtant bien fermés. Une goutte de sang reste collée sur la pas de la porte. La vue de cette tâche, quand elle entra, n’avait rien changé à la détermination de s’affaler sur le champ. Mais cette seconde lecture de l’image est plus forte, et soulève des questions. Simultanément la tache reste sans importance comme dans un rêve et provoque une angoisse telle que Maya hésite à se lever, protégée un peu il est vrai par sa léthargie passagère. Mais sa respiration change de rythme. Ses épaules durcissent et son corps devient lourd sur le lit dur. Il lui semble que son cou est tenu par des mains puissantes qui ne veulent pas lâcher. L’angoisse est bien là ! Son corps le lui dit. Elle se tourne face dans l’oreiller pour faire le dos rond en repliant ses genoux sous sa poitrine. Des deux mains croisées sur sa nuque, elle frotte le cervelet en faisant crisser ses cheveux longs. Les coudes se plantent dans le matelas et cette position la rassure quelque peu. Elle se calme lentement.

 

Les yeux fermés, elle voit cette trace de sang. Elle se redresse brusquement pour s’assurer que le petit tiroir de la table est bien fermé. Mais non ! Il est entre-ouvert. Ce petit détail ne l’avait pas alertée quand elle est arrivée, mais il était inscrit déjà dans sa mémoire. Le questionnement murmure dans sa tête. Malgré sa fatigue, il lui faut comprendre et son regard fait le tour de la petite chambre. Aucun autre indice ne la surprend sauf peut-être le lit sur lequel elle s’était jetée de tout son poids. Elle remarque à présent que les oreillers ne sont pas placés dans l’ordre habituel. De même, la couette descend un peu sur le pied du lit. Pensant à la futilité de tous ces détails et se jugeant un peu maniaque, elle décide de faire un bon thé pour prendre un peu de recul. Mais elle se détend à nouveau, lasse, sans énergie et s’allonge sur le ventre.

 

Maya fait un bon. Mais tout à l’intérieur. Son sang, ses humeurs, son air, sa peur, tout se mélange en bouillonnement soudain alors qu’elle se tétanise jusqu’au bout des ongles. Sur son flanc droit, elle sent une pointe froide. De l’acier. Sur son cou, un poids chaud qui la plaque sur l’oreiller. Un gant de cuir. Une main puissante. Grande ! Main d’homme ! Un autre poids s’écrase sur son mollet. Puis sur les deux. Sur les fesses maintenant. Partout. L’homme la couvre entièrement. Il n’a pas parlé. Elle ne peut pas crier. La terreur ! Elle respire comme en cachette, à peine, à peine, juste assez pour garder ses esprits emmêlés. Une respiration forte et longue tout près de son oreille rend le moment lugubre. Le moment qui dure et dure encore. Elle se sent perdue. Ne pas bouger ! Ne rien faire ! Garder son cri ! L’étouffer ! Etouffer ! Tout son corps fourmille de milliers de frissons qui ne s’arrêtent pas. Elle tremble, sans l’extérioriser. Elle pleure, sans larmes. Elle hurle, sans bruit.

 

Il pèse de tout son poids et ses coudes marquent son dos. La douleur est vive, irradie jusque dans ses entrailles. Ses côtes se plient. Son bassin voudrait repousser la masse. Le ceinturon appuie trop fort sur son sacrum. Elle a l’impression qu’un éperon lui pénètre dans la chair jusqu’à l’os. Et toujours cette respiration puissante qui l’inonde de nausée. C’est trop long ! Elle n’en peut plus ! Même sa pensée n’est plus libre ! Elle n’est plus qu’une motte écrasée ! Résignée au pire ! Morte !

 

Son bras gauche pend sur le côté du lit, face à la glace de l’armoire. Elle ne peut pas le bouger. Elle n’ose pas. Le long de son bras, puis sur le coude, puis sur l’avant-bras coule doucement un liquide épais et chaud. Sa tête était tournée de ce côté. Elle l’est toujours. Elle ose ouvrir légèrement l’œil gauche pour regarder dans la glace. L’ampoule du plafonnier est éclairée. Elle est trop puissante. L’œil se referme. Rien ne se passe. Elle ouvre l’œil. Elle explore lentement. Elle se familiarise avec la lumière. Elle voit sur son bras couler de grosses gouttes rouges. Du sang ! Le poids fait mal partout. Sur ses mollets, les genoux, durs comme des pavés. Sur sa cuisse, le contenu d’une poche, comme un canon de revolver, comme... Oui ! Elle sent son érection. Un membre durcit à l’extrême, prisonnier d’une toile raide. Un jeans ! La respiration ! La respiration ? Tiens, elle ne l’entend plus. Son œil scrute l’image. L’homme fait comme un édredon tout noir au dessus de celle qu’elle ne voit qu'à peine. Il ne bouge pas. Il ne bouge plus ! Il est trop lourd !

Maya ose lever son bras. Elle redresse difficilement ses épaules. Elle reprend sa respiration, doucement. Elle retrouve ses esprits. Il ne bouge pas. Il pèse.

 

Elle tourne violemment sur sa droite en criant de toutes ses forces. Le corps roule sur le parquet entre le lit et la fenêtre. Elle crie encore. Elle crie en portant ses mains jointes sur son visage. Elle est assise face à la glace de l’armoire. Elle n’ose pas regarder le corps, derrière elle. Il est mort. Le tiroir ! Les gouttes de sang ! Que s’est-il passé ? Personne ne répond à ses cris. Il n’y a plus personne dans l’immeuble ? Elle est pétrifiée. Elle respire. Elle vomit. Ses jambes frissonnent. Le lavabo est là. Elle se bouge. Lui ne bouge plus. Elle rince son bras avec l’eau froide. Elle se passe le gant de toilette sur le visage. Elle rejette ses longs cheveux en arrière. Elle regarde le tiroir. Elle voit la trace de sang au bas de sa porte. Elle l’ouvre. Elle crie. A l’aide ! Au secours !

Il n’y a personne ! A dix huit heure trente, l’immeuble est encore vide. Les chambres de bonne sur le même palier son vides. Police ! Appeler ! Le 17 ! Le portable ! Piles vides ! Elle le met en charge sur l’unique prise de son réduit. C’est à côté de la fenêtre. Il faut tirer le cadavre. Il pèse une tonne. Elle y arrive. Il baigne dans son sang. La lame d’acier lui a traversé l’abdomen et ressort dans le dos. Elle a failli lui tomber dessus. Une cagoule noire cache le visage. Qu’est-ce qu’il faisait là ? Qui c’est ? Maya se laisse tomber sur le lit. Elle s’assied et tient sa tête. Comment je vais m’en sortir ? Surtout, ne rien toucher ! 

 

On frappe brutalement sur la porte. Il entre comme une furie. Il ! Lui ! Sébastien ! Il se précipite sur le lit et la serre et l’embrasse et l’entoure, presque jusqu à l’étouffer dans son élan.

« Tu es là. Tu n’as rien. Tu vas bien. N’ai pas peur. Je t’aime. J’ai eu tellement peur ! »

« … ! »

Son visage porte les traces de coup. Ses poignets ont gonflé. Du sang sur ses phalanges ! La poche de sa veste arrachée reste pendante. Il tremble. Il s’étreignent longuement sans un mot.

« Ne bouge pas. Ils arrivent ! Restons comme ça, assis sur le lit. Non, pas de ce côté ! Plutôt du côté de la porte. »

Du bruit dans les étages ! Les flics arrivent. Plus personne ne bouge.

 

Après une longue garde à vue, chacun de son côté, sans contact, ils se retrouvent libres. Ils s’aiment. Dans le petit tiroir, les inspecteurs ont trouvé un petit mot vite écrit sur une feuille à carreau arrachée d’un cahier de brouillon.

« Je suis fou de toi, Maya. Je te veux. Je serai ta chose. Je te rendrai heureuse. Je ne pourrai pas vivre si un autre t’aime encore. François. »

 

C’était notre meilleur copain.

Il n’avait jamais rien dit.

            - "Au tennis, parfois, il te laissait gagner. Il était si gentil !"

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