Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Le blog de topotore
  • : Les mots invitent à leur traduction afin d'entrevoir sur le mode singulier de chacun cet "au-delà de la langue" si étonnant. La poésie illumine cette frontière.
  • Contact

Recherche

10 octobre 2014 5 10 /10 /octobre /2014 23:05

Le philosophe et dramaturge est à Marseille ce mercredi pour quatre jours de rencontres. Entretien avec l’auteur de « L’Hypothèse communiste ».

Entretien réalisé par Léo Purguette, La Marseillaise du 10 Octobre 2014

Figure marquante dans l’histoire du maoïsme français, Alain Badiou est l’auteur de nombreux ouvrages de philosophie, d’essais politiques mais aussi de pièces de théâtre. Penseur de « l’Idée communiste », il s’est fait connaître d’un large public avec « De quoi Sarkozy est-il le nom ? » Il est à Marseille de mercredi à samedi pour quatre jours de rencontres.

De quoi Hollande est-il le nom ?

Hollande est le nom d’une très ancienne fonction de la « gauche » en France : se spécialiser dans la promesse non tenue. C’est une fonction indispensable dans nos « démocraties », et qui éclaire pourquoi elles ne fonctionnent partout que sur la base de deux grands partis dits « de gouvernement ». Quand l’un rencontre des difficultés dans ce qui est sa fonction principale : assurer un consensus aussi stable que possible autour de l’organisation capitaliste de l’économie et autour de la dictature de la propriété privée, l’autre fait des promesses « sociales », qu’ensuite il déclare ne pas pouvoir tenir, vu la « réalité ». Dans ma jeunesse, le Parti socialiste a fait campagne pour la paix en Algérie et dès sa venue au pouvoir, il a déchaîné cette guerre. Mitterrand a été élu en 1981 sur un vaste programme de réformes sociales mais dès 1983 il s’est orienté avec vigueur du côté de la libéralisation intégrale du mécanisme financier. Jospin a privatisé autant ou plus de secteurs de l’économie que ne l’avait fait Balladur et a fini par déclarer qu’on « n’allait pas revenir à l’économie administrée », ce qui veut dire qu’on allait vendre à des intérêts privés tout le secteur public animé par l’idée d’un intérêt général. Dans une pièce de Paul Claudel, une héroïne dit : « Je suis la promesse qui ne peut pas être tenue. » C’est la meilleure définition de la « gauche » et de Hollande.

Quelle analyse faites-vous de l’influence croissante de l’extrême droite dans le pays ?

Quand il devient clair pour presque tout le monde que la « gauche » prend soin des mêmes « réalités », des mêmes intérêts, que la droite, la politique parlementaire dite « démocratique » entre en crise. Alors, les aventuriers d’extrême droite, qui sont la roue de recours du chariot politique de l’oligarchie dominante, entrent en scène. Ils l’ont fait dans les années vingt et trente du dernier siècle, ils le refont aujourd’hui. Ils tentent d’organiser toute une partie de la population, soit désespérée par la destruction des grands sites ouvriers, soit égarée dans la recherche de boucs émissaires, autour de quelques fétiches barbares, comme la « nation », la « race », la haine des « étrangers »… Le point clef de toute cette affaire est que, depuis trente ans, au lieu de faire son devoir théorique, qui est de défendre l’internationalisme le plus intransigeant, de rallier et d’organiser les ouvriers et les pauvres de provenance étrangère autour de l’idée communiste et universaliste, la « gauche » a largement fait le sale travail qui consiste à limiter, ségréger, refouler, humilier cette composante essentielle du peuple d’aujourd’hui que sont les millions de gens venus d’Afrique. Dès les années quatre-vingt, le Premier ministre Fabius a déclaré que Le Pen « posait de vrais problèmes », notamment le « problème immigré ». La force de l’extrême droite n’est qu’un des aspects de la vilenie et de l’inexistence politique de la « gauche », de l’abandon hostile où elle laisse ceux qui constituent le centre même de l’existence d’un peuple.

Vous allez rencontrer à Marseille des salariés qui se sont appropriés ou qui revendiquent la propriété du capital de leur entreprise. Regardez-vous leurs luttes comme des anticipations ?

Que des ouvriers revendiquent la propriété du capital productif est la vraie tradition populaire anticapitaliste, celle qui réclame une organisation de l’économie libérée de l’emprise des intérêts privés, organisation que Marx nommait celle de la « libre association ». Mais de petits succès locaux en la matière, quelques coopératives, quelques moments d’autogestion, ne sont pas à la mesure de ce qu’est aujourd’hui, après l’effondrement des États « socialistes », la victoire mondiale d’une très étroite oligarchie de propriétaires de capitaux. Il faut reprendre tout au commencement, en opposant une idée générale forte, centrée sur l’abolition de la dictature des intérêts privés, à la domination actuelle de l’oligarchie, dont partout dans le monde, qu’ils soient « démocratiques » ou non, les dirigeants politiques ne sont que les marionnettes qui ne changent que pour mieux persévérer dans leur être de « fondés de pouvoir du Capital », comme disait aussi Marx. L’idée forte dont l’affaiblissement public est la source de notre misère politique, s’appelle depuis deux siècles le communisme, et sauf à se résigner au désastre de la privatisation de toutes choses (même de la police, même de l’armée…), la tâche primordiale, dans la pensée comme dans l’action, est de réinventer le communisme pour le siècle qui commence.

Vous décrivez l’État comme un outil conçu « pour interdire que l’Idée communiste désigne une possibilité ». Chercher à conquérir le pouvoir d’État vous semble-t-il donc vain ?

Déjà Marx, à l’occasion de la Commune de Paris, avait vu que « conquérir le pouvoir d'État » n’était pas la tâche centrale des communistes, dont le but stratégique est précisément de faire peu à peu dépérir la dimension séparée et oppressive de ce pouvoir. Aujourd’hui, dans un pays comme la France, que peut bien vouloir dire « conquérir le pouvoir d'État » ? Cela n’a aucune autre signification que de s’épuiser et de perdre toute rigueur politique dans des élections au bout desquelles les « réalités » vous obligent à faire la même chose que vos adversaires supposés. Il faut refaire le procès de ce que les militants du XIXe siècle avaient très justement appelé le « crétinisme parlementaire ». Pour le moment, j’affirme qu’il faut faire une propagande complète et acharnée pour la non-participation aux élections, quelles qu’elles soient. Je pense même qu’il faut être très rigoureux sur ce mot d’ordre. Au point où nous en sommes, quand tout doit être repris dès le début, les tâches sont de trois ordres : régénérer, transformer et répandre partout, et à échelle immédiatement mondiale, la conviction communiste ; organiser sur cette base les fractions les plus larges possibles des masses populaires ; participer pour ce faire aux affrontements, inventions, rassemblements et réunions qui agitent la situation politique selon les différents lieux, usines, universités, bureaux, magasins, cités, foyers, campagnes, dans une vision des choses qui surplombe la cuisine politique nationale.

Face au capitalisme mondialisé, comment pensez-vous la résistance et la transformation révolutionnaire à l’échelle internationale ?

Comme je viens de le dire ! Le mot « résistance » ne me séduit du reste pas beaucoup. L’action politique ne peut jamais avoir un point de départ purement négatif, c’est la faiblesse des mots comme « révolte », « rébellion », « résistance », qui sont les mots dominants d’une certaine levée anarchisante, d’une sorte de sympathique romantisme, finalement tout à fait compatible avec le déploiement du capitalisme mondialisé. N’oublions pas que le capitalisme est lui-même, non pas du tout un « ordre » qui assurerait un destin créateur à l’humanité, mais une anarchie, souvent sanglante, l’anarchie de la concurrence des intérêts privés. C’est du côté de l’émancipation que doit se trouver la vision d’un ordre acceptable pour que l’humanité libère en elle toutes les énergies dont elle est capable. C’est pourquoi il faut partir de la positivité de la vision communiste, et non de la négativité du refus de ce qu’il y a. Le processus d’émancipation est une construction, une invention, et la négation, le conflit, ne sont que des étapes imposées par l’adversaire. Nous devons créer une situation où il soit clair que c’est l’oligarchie acculée qui résiste et non pas nous.

Partager cet article
Repost0

commentaires