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  • : Le blog de topotore
  • : Les mots invitent à leur traduction afin d'entrevoir sur le mode singulier de chacun cet "au-delà de la langue" si étonnant. La poésie illumine cette frontière.
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25 décembre 2012 2 25 /12 /décembre /2012 20:54

Septembre 2009

 

 

L’occupation majeure de ce peuple est de survivre.

L’occupation de ses terres en fait un enfer depuis soixante ans.

 

 

 

Il est six heures. Des grondements persistants ébranlent la maison. Nous sommes au Boulevard Botinelly, le long des voies ferrées qui ne véhiculent aucun convoi de marchandise ni aucun train en direction de Saint Charles. Nous ouvrons les fenêtres et remarquons que le jour se lève à peine. A Marseille, nous aimons ces moments privilégiés pendant lesquels se cachent encore les flèches brûlantes du soleil d’été.

Mais là, dans la bande de Paca, ce sont les bulldozers qui réveillent le Boulevard. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, tous ont tourné à l’angle du Boulevard de la Blancarde pour enfiler le nôtre en montant. Les chenilles gigantesques ruinent le goudron pour pivoter. Les machines présentent leur grande gueule ouverte qui pourrait transporter une lourde camionnette comme une botte de paille. Personne ne semble les piloter. C’est un destructeur anonyme.

De l’autre côté du Boulevard, progressent à pas lents tout un groupe de jeunes résistants pacifistes dont les banderoles sont leur seule arme. Ils chantent en provençal ce qui nous paraît être la traduction de l’internationale. Quarante tonnes à l’arrêt, moteur au ralentit mais crachant un feu épais et noir de colère, devant une première rangée de jeunes marseillais assis sur la chaussée, tous vêtus de blanc, sur fond de mots bleus accrochés à la banderole qui suit. « Nous voulons la paix. L’occupation est injuste. La destruction des biens et des personnes et un crime contre l’humanité. »

Depuis longtemps, les voitures ne circulent plus dans la bande de Paca, excepté celles des privilégiés qui ont tous les droits. Aussi, le Boulevard paraît très large quand on regarde du côté des manifestants. Mais les bulldozers sont si énormes qu’ils occupent plus de la moitié de la chaussée. Je remarquai cela quand je pris dans le nez une grosse bouffée d’échappement montée jusqu’à l’étage, qui m’obligeait à refermer la fenêtre. Puis j’ai vu, en dégageant les voilages,  les machines pivoter toutes ensembles sur un quart de tour et lancer leur moteur de toute sa puissance. Sans effort, elles se sont avancées contre les murs de chaque maison, bien sagement alignées sur le trottoir, et les ont éventrées franchement. Vacarme, poussière, hurlements ne peuvent ici trouver les mots qui feraient leur description.

Les machines, de concert, ont reculé sur cinq mètres. Une manifestante s’est précipitée, les bras en croix, pour se placer entre une maison et son destructeur anonyme. Il m’a semblé la voir debout très longtemps, défiant l’immonde puissance de destruction. Mais la scène n’aura duré que quelques secondes. Les bulls ont repris leur progression dans l’horreur des gravas et l’enfer de l’effondrement. Une maison sur deux fut détruite en quatre manœuvres. A la cinquième charge, les machines ont escaladé les ruines jusqu’au fond des petits jardins où elles ont pivoté encore en ravageant les sols, et firent le même exploit sur leur chemin de retour.

 

Tétanisé sous ma table, je les ai entendus repartir, comme si de rien était. Ma maison fut épargnée. Pourquoi la mienne ? Pourquoi les autres ? A qui le prochain tour ? Quel mal ont-ils fait ?

 

Je suis sorti, avec les miens, juste pour vérifier notre impuissance devant cette scène d’apocalypse. La stupeur séchait nos larmes. Un silence effrayant nous laissait entendre que les décombres seraient des tombes. Les manifestants étaient occupés à retrouver leur respiration. Les poussières retombaient lentement. Les premiers rayons du soleil n’ont vu que ce qui était fini, l’expression forte du droit préventif de la légitime défense. C’est ce qu’indiquera le porte-parole de l’armée d’occupation en précisant qu’il y avait sûrement des terroristes qui projetaient un attentat sur les voies, sur France Invest, la radio collabo.

 

 

 

 

 

 

 

 

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25 décembre 2012 2 25 /12 /décembre /2012 20:49

Septembre 2009 

 

L’occupation majeure de ce peuple est de survivre.

L’occupation de ses terres en fait un enfer depuis soixante ans.

 

La nouvelle a vite fait le tour de la bande de Paca. Personne n’ose pourtant y croire. La famille Florian dont le fils aîné avait disparu depuis plus d’un an, doit récupérer le corps de son fils de toute urgence en raison du manque de place dans la morgue de l’Hôpital de la Conception. Le père se fait accompagner de nombreux amis et demande à son épouse de rester à la maison, Rue Benoît Malon, petite rue près du Boulevard Chave dans laquelle tout le monde se connaît. Un beau drap blanc aidera au transport macabre. Tous savent enfin que le jeune homme n’a pas survécu à son emprisonnement et encore moins aux tortures que l’armée d’occupation se défend de pratiquer.

Devant la morgue, François sent monter en lui des sentiments de haine et demande à ses amis de le soutenir très fermement dans l’épreuve. Quand le tiroir est tiré, François fait un signe discret de la tête afin d’autoriser le soulèvement du linge blanc qui recouvre le corps.

Devant l’horreur du spectacle, les hommes serrent les poings et rentrent leurs regards en dedans, pour éviter de voir. Ce qui frappe en premier, c’est la grande cicatrice qui va du cou au pubis. Elle est grossière et boursouflée, ressemblant plus à une fermeture éclair qu’à une réparation chirurgicale. « Ils ont pris les organes de mon fils ! » laisse entendre François dans le souffle qui précède son évanouissement.

Quand il revient à lui, il ne reconnaît pas le visage de ce mort. Mais ses amis lui expliquent le fait. « François, les chirurgiens ont pris ses yeux aussi. Ses beaux yeux bleus ! »

 

Comme des automates, les hommes entourent le corps du drap et quittent la morgue sans même adresser le moindre signe au gardien. Ils remontent la Rue Ferrari jusqu’à la Rue de Bruys en cortège lent et silencieux. Quand ils arrivent devant la maison, tout le quartier est là. Tous veulent voir le corps afin d’avoir la preuve des rumeurs qui déjà circulent au travers de toute la ville. François demande à son épouse de rester dans la maison, lui assurant que le corps serait à eux, et à eux seuls durant toute la nuit, puis il ouvre le drap et montre à tous les traces de cette chirurgie grossière.

 

Dans la nuit, avec un courage incroyable, François éventre le corps et sort de l’ouverture une grosse mèche de coton. Demain, il exposera ce corps, en parcourant les petites rues voisines le plus longtemps possible afin que chacun sache. Il ira lentement jusqu’au cimetière Saint Pierre, entraînant dans son sillage un maximum de gens.

 

Ils furent plus d’un millier. L’armée d’occupation n’a pas bronché. L’enfant est enterré, mais pas tout entier. De telles horreurs risquent de marquer les esprits. Combien de générations faudra-t-il pour tourner les pages de l’histoire lugubre de l’occupation ?

 

 

 

 

 

 

 

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24 décembre 2012 1 24 /12 /décembre /2012 20:59

Septembre 2009 

 

 

L’occupation majeure de ce peuple est de survivre.

L’occupation de ses terres en fait un enfer depuis soixante ans.

 

 

Jordan a vingt huit ans. Jusque là, il réside chez ses parents, dans un modeste appartement sur la place de Lenche, tout près de fort Saint Nicolas. Dès la fin de ses études d’ingénieur, au CNAM d’Aix-en-Provence, il fut embauché à Eurocoptère près de Marignane. Il put faire ses études grâce à l’accueil des ses oncles et tantes qui lui évitaient de se rendre à Marseille tous les jours, lui ayant aménagé une petite chambre tout à fait calme qui donnait sur un jardin de la route des Alpes.

Depuis quatre ans, il n’a jamais eu de difficulté pour traverser les nombreux points de contrôle qui cernent la bande de Paca. Ses documents sont en règle et nul de sa famille n’est fiché dans les registres des services de surveillance de l’armée d’occupation. Certes, il lui arriva souvent de se voir infliger des retards à l’aller comme au retour, mais dans l’ensemble, il peut dire qu’il a été chanceux sur ce point. Il lui fut même possible de transporter quelques fournitures introuvables à Marseille, comme de la charcuterie, ou de la farine, ou même du lait. Le plus souvent, une grande poche intérieure de sa doudoune suffisait à dissimuler la marchandise, et son vieux scooter n’attirait pas l’attention des gardes. Il avait surtout la chance de pouvoir s’approvisionner en carburant, en dehors de la bande de Paca.

 

Jordan se sent très utile à ses parents qui, se dit-il, rencontreraient bien des difficultés s’il devait s’absenter. Et souvent leur conversation tourne autour des petits avantages qu’il transporte, victuailles mais aussi médicaments, livres et journaux.

 

Dans l’enceinte d’Eurocoptère, Jordan rencontre tous les jours Leila, une jeune ingénieure en informatique dont la délicatesse et la modestie le touchent particulièrement. Ils ont noué des liens intimes depuis deux ans et décident de se marier. Pour se faire, Leila doit obtenir un laissez-passer pour aller rendre visite aux parents de Jordan. Déjà là, les difficultés se sont montrées plus invraisemblables que nul n’aurait pu les imaginer. Justifier de son lieu d’habitation fut délicat puisque factures et bail de location  étaient au nom de ses parents adoptifs, alors qu’elle avait voulu garder son nom de jeune-fille, différent du leur. Hanoun est son nom, mais elle vit sous le toit du couple Mathieu, de quoi éveiller les pires soupçons !

Après quelques mois d’efforts pour obtenir les documents sur l’adoption, les choses se compliquent encore. L’armée d’occupation prétend avoir le devoir de faire des recherches afin de vérifier que Leila Hanoun n’a pas été déjà mariée à quiconque. Et cela prend du temps, d’autant plus de temps que les traces de cet éventuel mariage pourraient se trouver dans une commune quelconque de France ou de l’étranger, là où précisément le nom de Hanoun est le plus fréquent. Le futur couple n’a plus qu’à attendre, et les parents de Jordan ne peuvent rencontrer la jeune fille que sur des photos ou parfois au téléphone. Mais depuis leur demande, le téléphone du jeune homme est mis sous surveillance, et la ligne n’est autorisée que rarement, de façon aléatoire.

Tous les sept jours, le père se rend à la préfecture, fait la queue, cette queue interminable qui décourage tout le monde, et demande où en sont les recherches. Il lui arrive de tomber sur un préposé qui refuse de donner les informations à un homme qui n’est pas l’intéressé lui-même. - Mais je suis son père ! Mon fils a la chance de travailler ! Il ne peut se permettre de perdre une journée entière pour attendre des nouvelles hypothétiques ! - Attendez ! Je vais rendre compte au supérieur hiérarchique de cette situation !

Le plus souvent, le préposé ne revient pas. Un autre le remplace et ne semble pas du tout au courant de ce qui se passe. - Mon collègue a terminé ! Je le remplace à ce poste. Revenez demain, c’est avec lui que vous pourrez suivre l’affaire. - Mais ! - Il n’y a pas de mais ! C’est comme ça ! Au suivant !

Monsieur Sanchez s’en retourne, énervé, dépité, fatigué. Mais il reviendra demain, et toutes les semaines.

Un jour, il a l’idée de se charger de tous les documents dont il est dépositaire, et chacun peut imaginer la méticulosité qu’il faut pour les conserver, de se rendre à la préfecture, et de faire la queue, comme d’habitude avec l’intuition qu’il aurait de la chance. Il dépose la demande en mariage de son fils Jordan Sanchez avec Mademoiselle Leila Hanoun, tous deux ingénieurs à Eurocoptère, fiancés depuis plus de deux années, logeant chez leurs parents respectifs dont voilà les titres de propriété ainsi que les factures d’énergie. Et le jeune soldat, assurément dans un bon jour puisqu’il avoue se trouver aussi sur le point de se marier, de lui donner les imprimés avec le tampon de la Préfecture, sans autre requête. Monsieur Sanchez a envie de l’embrasser. Mais il se ravise et lui présente tous ses vœux de bonheur. Il s’esquive au plus vite en serrant ses documents.

A la maison, ce fut une soirée de joie. Les parents se réjouissaient de rencontrer la promise bientôt, sans écouter leur fils qui leur disait que tout n’était pas réglé pour autant. Et en effet. Le seul mariage ne constitue pas une justification suffisante pour acquérir un droit de logement dans la bande de Paca. Les jeunes mariés ne peuvent prétendre habiter sous le toit des Sanchez. Ils pourront se loger à l’extérieur de la zone. Et dans cette situation, Leila ne peut absolument pas obtenir le laissez-passer nécessaire pour entrer dans la bande de Paca. Il faut qu’elle justifie d’une durée de trois années de mariage, et au moins d’une naissance pour être autorisée à visiter ses beaux parents. De leur côté, les dits parents ne peuvent absolument pas sortir de leur prison à ciel ouvert, tant que le blocus est décrété.

 

Farid et Sidi, des collègues auxquels Jordan raconte son histoire, lui répondent que là-bas, c’est bien pire parce que tout n’est que ruine et que le blocus n’autorise pas la moindre reconstruction. En plus personne ne sait s’il sera encore en vie demain, ce qui prévient de tout projet et de tout espoir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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24 décembre 2012 1 24 /12 /décembre /2012 20:49

Septembre 2009 

 

L’occupation majeure de ce peuple est de survivre.

L’occupation de ses terres en fait un enfer depuis soixante ans.

 

Depuis un mois, mes pensées sont occupées. Mais leur territoire n’est pas fermé. Les journées gardent une énorme part d’insouciance, jardin fragile où chacune peut encore courir et s’orienter. Il n’en est pas de même pour ceux qui n’ont plus le droit à l’insouciance, tous les jours astreints à chercher les moyens de subsister.

 

Occupés sans arrêt à ne pas mourir ! Sofiane et Lilia, mariés depuis peu auxquels tout permis de construire est inaccessible. Wissem et Lina que l’on a privés de leur exploitation d’oliviers. Mohamed et Safa qui essayent de faire l’école au petit parce qu’un mur de huit mètres de haut les privent de tout accès à l’école. Farid et Zora qui n’ont plus de droit de visiter leurs vieux parents pour les mêmes raisons. Chakib et Khelii qui ont déjà perdu deux nouveaux nés, bloqués dans l’ambulance que les jeunes soldats laissaient au soleil, bien décidés à garder le point de contrôle fermé. Sami et Amel que des hommes armés repoussent hors de leurs propres terres où ils ont creusé leur puits. Amjad, en prison depuis des années dans des conditions que nous ne pouvons pas même imaginer, et dont la femme Chayma ne sait rien, malgré ses démarches quotidiennes qui occupent tout son temps. Pour patienter dans les longues colonnes d’attente, elle ferait bien du tricot. Mais tout apport de laine est interdit.

Mes pensées sautent la mer, échappent au temps, et travaillent une fiction sur Marseille, devenue la bande de Paca, soumise au dictat des puissances financières. Petit à petit, je découvre que la fiction ne va jamais assez loin. Bientôt, les murs de huit mètres ne seront plus nécessaires. Les puces et autres bracelets électroniques ajustés aux GPS, permettront une surveillance insoupçonnée des agissements et des déplacements de chacun. La manipulation médiatique au service des nantis nous assurera que ces mesures n’ont qu’un seul but, la sécurité. Pour nous, il serait plus simple qu’ils répartissent mieux les richesses et l’insécurité dont ils sont les instigateurs disparaîtrait. Qui va « consommer » si personne ne peut plus rien acheter ?

On remarque très bien que la seule course au profit va instrumentaliser toute chose et tout événement. C'est-à-dire s’en servir comme si c’était un bien marchand sur lequel toute spéculation se fera, sans aucune objection morale ! Déjà, le marché d’organes est bien une réalité. Même la pauvreté est instrumentalisée. Distiller des compensations n’a d’autre fonction que de se faire mousser pour les prochaines élections. La même démarche tient dans ce seul fait de ré-ouvrir certaines négociations de paix alors que la surenchère d’armements et d’intérêts financiers (énergétiques) ne veut pas de la paix. « On ne gagne rien à faire la paix quand on est le plus fort ! »

 

Chacun peut être pré-occupé par la progression du rouleau compresseur dévastateur. Quand nous serons vraiment occupés, il sera urgent de créer des liens, tout un apprentissage qui nous obligera, et tant mieux, à l’abandon de nos petits privilèges.

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24 décembre 2012 1 24 /12 /décembre /2012 18:26

  Septembre 2009

 

L’occupation majeure de ce peuple est de survivre.

L’occupation de ses terres en fait un enfer depuis soixante ans.

 

 

J’entends du bruit dans la rue. Des cris, des pleurs, des hommes, des femmes, des enfants. Mais il est tôt ! Sept heures ! Le jour à peine levé !

Je me lève, enfile ma robe de chambre, ouvre délicatement un volet du séjour qui donne sur le petit jardin. Dans la rue, une scène invraisemblable ! Tout est bloqué ! Des soldats maintiennent mes voisins, même les enfants, sur le trottoir, devant les grilles. D’autres déménagent tout ce qu’ils trouvent dans la petite maison, sans ménagement ! Un vrai dé-ménagement, dans tous les sens du terme ! Devant mon jardin, tout s’entasse en un amoncèlement incroyable, et les douze costauds assurent un rythme soutenu. Le long du trottoir d’en face restent sagement alignés les véhicules de transport de troupe, chargés de jeunes soldats sur le qui-vive, près à intervenir au moindre coup de sifflet. Plus loin, sur la gauche, des camions de déménagement, sûrement chargés à bloc vue la hauteur du bas de caisse. Derrière les grilles de chaque petite maison du boulevard s’entrouvrent un ou deux volets, silencieusement. France Invest diffuse les infos ! « Le boulevard Bézombe est enfin en voie de normalisation. Il est à noter que tout se passe dans le calme depuis six heures ce matin, et que les habitants dont les titres de propriété se sont révélés illégaux n’opposent aucune résistance. »

« Ce quartier tranquille de la Pomme sera très prochainement assaini, nous assure le maire des lieux, et notre petite commune pourra sans encombres assurer la protection du grand mur de sécurité qui nous sépare de Marseille la rebelle, là même où se trouve le plus grand poste de contrôle des allées et venues sur le flan Est de la bande de Paca. »

 

Mes voisins, les deux petits blottis dans les bras, restent là, devant le tas où se sont enchevêtrés lits, armoires, chaises, vélos et vêtements, tables, livres, serviettes et draps de bains. Une brosse à dent se dresse sur le sommet, plantée comme un fanion de victoire. Geste ultime et dérisoire d’un costaud poète ! L’armée forme un mur dense qui coupe la voie en deux, et l’installation des nouveaux propriétaires commence. Les mêmes costauds entament le travail inverse sous les yeux bienveillants des heureux arrivants.

 

Je descends les trois marches pour inviter mes voisins à entrer chez moi. Le père ne veut pas quitter l’amoncèlement qu’il craint de retrouver pillé ou saccagé. Je prépare une boisson chaude quand le téléphone sonne.

 

Une voix me dit simplement qu’il faut que je me prépare à vivre la même chose dans les jours qui viennent. Je raccroche et m’occupe des mes protégés de l’instant, en essayant de cacher mes sentiments. Mais le petit sursaut des sourcils de la femme en pleurs me dit, tout à l’instant, la résignation, la compassion, la solidarité, la compréhension, l’encouragement, et la fin des illusions.

 

 

 

 

 

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24 décembre 2012 1 24 /12 /décembre /2012 17:51

  Septembre 2009

 

 

L’occupation majeure de ce peuple est de survivre.

L’occupation de ses terres en fait un enfer depuis soixante ans.

 

 

Depuis un mois, Yanis et Sonia ne sont pas rentrés à Marseille. Leur séjour se prolonge à Cuges-Les-Pins, chez les parents, alors qu’ils auraient dû reprendre les cours à la fac de médecine. Ils sont inquiets parce que la cité universitaire dans laquelle ils avaient chacun leur chambre est en ruine. Les bombardements de l’été ont heureusement fait très peu de victimes, car les lieux se trouvaient pratiquement vides. Mais la fac de médecine et tout le Boulevard Jean Moulin sont dévastés. Les ruines sont considérables et le matériel de déblaiement impossible à trouver. Curieusement, il n’y eut aucun incendie. Gaz et électricité avaient été coupés. Quand à l’eau, il n’y en a plus depuis longtemps, ou si peu ! L’armée d’occupation a justifié les actes de l’été par ce simple fait que les lieux se vidaient pendant les vacances et qu’ils pouvaient ainsi détruire les caches d’armes sans atteindre la population civile. Les médias ont bien entendu rappelé cette information en boucle en félicitant l’humanisme des occupants.

 

 Privés de logement, les deux jeunes n’ont pu renouveler leurs droits au passage de la Penne-sur-Huveaune. Leurs tentatives ont échouées les unes après les autres. Leur nouvelle résidence se trouve à Cuges. Leurs études de médecine ne pourraient se faire qu’à Nice, mais les moyens de la famille ne le permettent pas. Malgré les efforts de persuasion parentaux, le frère et la sœur refusent d’aller en droit à Aix. Et bien-sûr, la tension ne fait qu’augmenter entre les générations.

 

Le père de Yanis, responsable d’une entreprise florissante de tractopelles, encourage son garçon à devancer l’appel pour ne pas perdre l’année. Mais Yanis est scandalisé par cette proposition. Il se défend d’avoir la moindre intention de faire le service, surtout pour ne pas cautionner le maintien d’un ordre dont il ne défend absolument pas la cause.

Jamais, tu m’entends, jamais je ne serais du côté des monstres, ceux-là même auxquels tu vends très cher tes services.

Tu ne sais pas trop ce que tu dis. Je commence à comprendre pourquoi les universités sont suspectées de promouvoir le terrorisme. Tu me déçois. Je croyais que tu aurais l’intelligence de ne pas te laisser conditionner. C’est un vrai lavage de cerveau, ce que vous subissez là-bas.

En médecine, nous apprenons le respect de l’être humain selon le serment d’Hippocrate. Et s’il faut soigner ou soulager n’importe quel homme, qu’il soit occupant ou occupé, nous nous engageons à le faire. C’est une vocation. Et dans les circonstances actuelles, cet engagement me permet d’échapper aux choix que tu voudrais m’imposer.

Tout ça, c’est de la théorie. Moi, si je loue un tracteur à un terroriste de tes amis, je vais en prison et nous finissons tous sur la paille.

Un, ce ne sont pas des terroristes. Deux, ils ne demandent qu’à vivre en paix. Mais la machine de guerre financière s’est mise en marche pour les détruire. Aussi, par simple instinct de conservation, ils résistent. Tu aurais fait pareil si tu avais gardé ton entreprise à la Capelette, zone désormais sous occupation où toute entreprise fut réquisitionnée dès les premiers temps du conflit. Ton ami Mouloud, cet associé dont tu appréciais tant la dignité. Il n’a pas voulu te suivre alors qu’il savait combien les ennuis allaient tomber, sur lui-même et toute sa famille. Il est en prison, je ne sais où, peut-être mort, torturé jusqu’à l’extrême. Personne ne lui reproche d’être resté debout. Mieux vaut mourir debout que se soumettre couché. Je suis resté en contact avec sa famille, sa femme, ses fils et ses filles. Lors de mes dernières visites, j’avais honte de toi, mais ils ne m’en ont jamais parlé. Ils ont été spoliés de tous leurs biens. Mais leurs poches sont remplies de fierté, et d’humanité. Sous le plafond trop bas du parking Montgrand, nous n’avons plus rien à partager sauf nos chants et nos sourires. Ton vieux chien bénéficie de meilleurs soins que ces gens. Je n’aurais pas du venir ici. Adieu !

 

Sonia pleure. Mais elle prend un petit sac de sport et sort avec son frère. Ils rendent leurs clefs à leurs parents, assommés dans leur fauteuil. Le vieux chien s’installe sur le canapé.

 

Ne vous en faites pas. On se débrouillera ! Nos amis sont là-bas ! Et dans le monde entier, nos amis sont enfermés. Eux non plus, ils n’ont plus de clefs.

 

 

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23 décembre 2012 7 23 /12 /décembre /2012 18:35

  Septembre 2009

 

 

L’occupation majeure de ce peuple est de survivre.

L’occupation de ses terres en fait un enfer depuis soixante ans.

 

 

Je croyais ! Je croyais que ce serait fini à tout jamais ! Je croyais que les deux guerres mondiales avaient sonné la fin des humiliations ! Je croyais qu’il n’y aurait plus jamais d’occupations, de tortures, de camps, de réfugiés, de déplacés, de spoliés, de morts ! Je le croyais !

Me voilà prisonnier dans la bande de Paca, privé d’eau, privé de courant, privé de gaz, de farine, de matériaux, interdit de circulation, suspecté de terrorisme parce que je résiste à l’injustice. Aucun membre de ma famille n’est à l’abri des abus, ni des obus de l’occupant. Certains sont en prison, quelque part, sans visite, sans soins, soumis aux pires maltraitances que l’homme n’ait jamais imaginées, l’abandon dans l’incertitude et l’isolement. Même le temps leur est enlevé. Et pour certains, même le jour, ne serait-ce que de tout petits rayons !

 

Le monde entier nous ignore, dans son adoration du pouvoir idéologique des finances et de ses dérivés. Sur l’ancien Cours Mirabeau, rebaptisé les Cours des Générales de Banque, on défile à la gloire de la croissance. On chante le cap historique des dix mille points du Cac en déambulant à genoux pour qu’il ne redescende plus jamais ! On se signe avec l’eau de la fontaine du monument de la Spéculation, l’ancienne Rotonde, et les adeptes y baptisent leurs enfants !

 

Dans le même temps, les occupés de Marseille, ceux qui subissent l’apartheid sous le grand mur « de la sécurité », ceux qui croupissent dans les parkings souterrains ou plus récemment dans les tunnels du métro, les résistants qui ne veulent pas qu’on leur impose une vie d’iniquité et d’injustice, les utopistes qui rêvent encore d’un monde plus juste et d’une justice sociale, tous ceux-là ne peuvent plus vivre. Ils sont condamnés à débarrasser leur propre plancher au nom de la paix universelle dans la spéculation et la paresse du profit facile.

 

A quoi sert l’enrichissement s’il n’a d’autres conséquences que la production des armes de destruction. (Pléonasme !) On ne produit plus que des armes qui suscitent le profit ! Les résistants devront payer les quelques temps de ciel bleu dont ils peuvent encore profiter, le ventre creux, et la peur en dedans. Abdu dit que c'est pire là-bas !

 

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23 décembre 2012 7 23 /12 /décembre /2012 18:10

 

  Août 2009

 

 

L’occupation majeure de ce peuple est de survivre.

L’occupation de ses terres en fait un enfer depuis soixante ans.

 

Pourquoi la Place Estrangin est-elle interdite aux marseillais ? Des blindés préviennent de tout accès, même à pieds. Jusque là, les riverains de la rue d’Armeny et de la rue d’Arcoles devaient se munir d'un laissez-passer renouvelable tous les six mois. Depuis peu, ils doivent le renouveler tous les trois mois, avec une liste de documents impressionnante pour justifier de leurs droits à vivre chez eux. A la préfecture, juste à côté, la queue s’allonge tous les jours et l’attente fait souvent perdre une journée entière. On demande la facture EDF la plus récente. Mais chacun sait que les services postaux ne fonctionnent plus. De plus, la distribution de courant laisse à désirer. Une heure par jour ! Quand la facture arrive, elle date souvent de plusieurs mois. Le cachet de la poste ne faisant plus foi, le guichetier prétexte que la dite facture n’est pas récente et refuse d’accorder le renouvellement du laissez-passer. Pour le gaz, c’est pareil ! Quand à l’eau ! L’occupant ne laisse plus qu’un goutte à goutte et tous vérifient sans arrêt que le grand bassin, tout en haut de Périer, est vide.

 

Yan s’attend à ce que ses documents ne soient plus valables. La journée passée debout sur le trottoir l’a épuisé. Il a soif, faim et chaud. Ses forces lui font défaut et la moindre contrariété risque de lui donner le coup de grâce. Il sent que rien ne va se passer comme il faudrait.

Déjà, devant lui, cinq personnes ont fait la queue pour rien. Elles devront revenir le plus vite possible car leur papier expire dans quelques jours. Jamais il n’avait vu des visages aussi absents, des regards inversés qui ne voient plus qu’en dedans une misère fleuve, un désespoir gouffre et une fin définitive. Yan est jeune mais il se sent vieux. Il a toujours vécu sous l’occupation et se rend compte des dégâts irrémédiables sur les personnalités, toutes écrasées lentement dans un tout petit nombre d’années. Il suppose que son regard est aussi fermé que ceux qu’il a vus. Il repense à sa jeunesse que ses parents avaient entourée de mille contes de fées afin de masquer la dure réalité. Il se souvient de l’école et des parties de ballon autour de la fontaine, devant la Banque de France, dont il mesurait déjà toute l’importance. Il se souvient des avantages du métro qui les menait à la Rose en quelques minutes pour rendre visite aux grand-parents.

 

Arrive son tour. Tout va bien ! Sauf sa carte d’identité. Yan Miloud Armand Massahoui ! Voilà une identité bien délicate à vivre dans le climat du moment !

En une fraction de seconde, il fait le rapprochement entre ce nom et celui du dernier résistant soupçonné d’avoir fait sauter le train à Venelles, celui qui transportait les financiers de Gap. L’accord entre les régions n’aura pas pu être signé ! Terrorisme !


Il referme ses documents dans la chemise et se glisse comme un serpent dans la queue pour atteindre la sortie avant que le préposé n’ait eu le temps de réagir.

Dehors, il respire et rassemble ses dernières forces pour paraître normal. Le temps de passer chez lui et de dire à sa femme qu’il va se cacher jusqu’à nouvel ordre, et il marche. Il ne sait tout d’abord où aller, mais ses pas le dirigent vers la gare Saint Charles.


Sous les grands escaliers, dans les poutres et les poutrelles, il se hisse et se cache. La première nuit sera longue mais pleine de conseils. Demain ! Demain, je réussirai à prendre un train. Je ne sais pas comment ! Il faut sortir de la bande de Paca !

 

 

 

 

 

 

 

 

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23 décembre 2012 7 23 /12 /décembre /2012 17:06

  Août 2009

 

 

L’occupation majeure de ce peuple est de survivre.

L’occupation de ses terres en fait un enfer depuis soixante ans.

 

 

Maryse va accoucher. La plus proche des cliniques est à dix minutes à pieds. Moussa, décide de s’y rendre pour attirer l’attention d’une sage femme. Mais depuis la rue du Docteur Combalat jusqu’à la rue du Docteur Escat, il se demande s’il sera de retour avant que son épouse ait commencé le travail.

La clinique Bouchard est ouverte et sa maternité aussi. Moussa demande s’il peut mener Maryse pour un accouchement précipité. La réponse est oui ! Mais il n’y a pas de sage femme. Il n’y a pas de docteur. Il n’y a que des infirmières bénévoles qui font tout ce qu’elles peuvent pour aider les mamans, avec les moyens du bord. (C'est-à-dire avec rien !) Moussa pense alors à son voisin du dessous qui est médecin et dont l’activité professionnelle s’est arrêtée depuis longtemps, mais dont le rayonnement se montre sans égal auprès de ses compagnons de malheur et de misère.

 

En courant, il descend la Rue Edmond Rostand mais rencontre une brigade volante au niveau de la rue Sainte Victoire.

Vos papiers ?

Voilà !

Pourquoi courez-vous ainsi ?

Ma femme va accoucher d’une minute à l’autre !

Votre adresse ?

Rue du Docteur Combalat n°8, 3°.

Profession ?

Sans, depuis cinq ans !

Avant ?

Conducteur de métro !

Syndiqué ?

Non !

On va vérifier !

Messieurs, il me faut aider ma femme !

Les gens qui courent sont suspectés.

(...)

Bien souvent, ils ont fait quelque petite affaire et se dépêchent de rentrer.

Je viens de la clinique Bouchard. Il n’y a pas d’affaire possible. Plus rien !

Videz vos poches !

Fouillez-moi, si vous voulez, mais faites vite !

On n’a pas d’ordre à recevoir des rats de tunnel !

(...)

Tu vois ! Cher collègue ! Il ne dit rien. Qui ne dit rien consent !

Messieurs ! Je n’ai jamais fait de politique et ne suis pas syndiqué. La seule chose qui me préoccupe là, c’est ma femme.

Un plus ! Progéniture captive ! Profits assurés ! Croissance parallèle entre produits dérivés et démographie galopante ! Crois moi, collègue, la puissance libérale non seulement s’adapte et s’assouplit mais s’amplifie à cause de la natalité des bêtes de trait ! Dommage qu’il y ait tant de terroristes à Marseille. La bande de Paca, c’est eux qui la veulent !

Je ne comprends rien à vos propos, puis-je disposer ?

Quand est-ce que vous allez comprendre ? Soit vous rentrez dans le rang et donnez votre vie pour l’idéologie dominante qui augmente votre niveau de vie, soit vous devenez terroriste.

Je n’ai pas la tête à réfléchir ! Puis-je disposer ?

Ne vous inquiétez pas ! Si ça ne marche pas cette fois ! Vous remettrez ça !

(...)

Bon ! Allez ! Partez, en espérant que ce sont des jumeaux !

 

Moussa était déjà loin et depuis longtemps laissait glisser les humiliations.

Quand il ouvre la porte de l’appartement, il sait que l’enfant n’est pas vivant, à la seule tête du bon médecin qui s’est déplacé d’un étage, saisi par les appels de Maryse qui souffrait les douleurs. « Je n’ai pu sauver les deux. J’ai choisi de sauver la mère. Il me faudrait de l’eau et la faire chauffer un peu. J’ai dû tirer de toutes mes forces, c’était un siège. La pauvre est un peu déchirée mais elle va s’en sortir. Il me restait des flacons d’alcool et des compresses. Je vais arranger ça !

 

L’occupation c’est tous les jours des drames chez tous ceux qui la subissent.

Moussa espère encore.

Que la bande de Paca ne soit pas la pire de toutes !

 

 

 

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23 décembre 2012 7 23 /12 /décembre /2012 16:54

    Août 2009

 

L’occupation majeure de ce peuple est de survivre.

L’occupation de ses terres en fait un enfer depuis soixante ans.

 

 

Rue d’Italie déserte ! Boulevard Salvatore bloqué ! La préfecture barricadée ! Les chars Marta-Drasaud armés sur la Place Castellane ! Cinquante véhicules blindés tout le long du Boulevard Baille ! Nous restons blottis dans la cave, Andréa, mon épouse, et les quatre enfants, Lila, Célia, Yan, et Loïc. Le tout petit poste grésille dans mon oreille. Radio Paca ! Une radio clandestine que quatre jeunes journalistes alimentent depuis quelques planques dont ils ont le secret, toutes les vingt minutes pendant trois minutes. Je crois qu’ils ont beaucoup de complices dans les immeubles, organisés en réseau, avec certains dissidents de Charly FM, qui soutient désormais les occupants, sans le reconnaître.


Encore cinq minutes avant la petite communication, cinq très longues minutes !

« La Finance s’apprête à donner l’assaut dans tout le quartier entre la Rue de Rome et le Cours Lieutaud. Des hélicos tournent au dessus de la zone. L’armée est positionnée. Elle attend probablement le couvre feux pour procéder, selon ses méthodes favorites, aux incursions de nuit. Nous conseillons à toutes les familles de tout faire pour que leur progression soit retardée au maximum. Déplacez les meubles s’il le faut jusqu’aux portes d’entrée, essayez de vous grouper dans les espaces réduits et faites les morts. Ils perdent beaucoup de temps à transporter les corps. Nous sommes partisans de la non-violence. Vous pourrez justifier de n’être pas résistants mais simplement terrorisés. Terminé ! »

 

Dans mon sous-sol, une porte dérobée ouvre sur un tunnel que j’ai aménagé pour que nous puissions y rester quelques heures. Mais nous n’avons pas d’eau, excepté cette goutte qui tombe régulièrement d’on ne sait où, et qui remplit le grand seau que j’ai eu soin de positionner à l’avance. Nous ne l’avons encore jamais bue, mais son aspect n’est pas repoussant, et son odeur est tout à fait neutre. Espérons qu’elle sera potable ! Une toute petite lampe de poche dotée de trois LED nous permet encore de profiter d’une petite lueur quand c’est nécessaire. Mais je l’utilise le moins possible parce qu’il me sera très difficile de trouver des piles pour les remplacer.

 

Ce que je crains le plus, c’est qu’ils détectent la présence humaine par leurs détecteurs infrarouges. Aussi le tunnel s’avance-t-il jusqu’à une vingtaine de mètres de la porte dont j’ai soigné l’isolation en accumulant les cartons depuis trois ans, pliés avec soin, et disposés en plusieurs couches séparées par un espace d’air statique. Nous sommes allongés sur d’autres cartons qui nous isolent du sol argileux et cherchons à respirer lentement, sans bouger.

 

Avec précautions, j’avais travaillé dans les règles de l’art pour que le tunnel présente un maximum de sécurité. Dans le Parc du vingt sixième centenaire restaient de nombreuses traverses de chemin de fer dont nous avions pensé qu’elles pourraient servir un jour. Et avant que mon break ne soit interdit de circulation, j’avais fait un grand nombre de voyages avec mon cousin pour acheminer un maximum de traverses. Ce sont elles qui étayent maintenant mon tunnel. Jamais je n’aurais pensé qu’un jour il me faudrait m’y cacher comme un rat !

 

Je pensais à toutes journées d’insouciance, quand un tremblement nous sortit du silence. Je regardais ma montre furtivement, celle de ma communion qu’il me faut remonter tous les jours, et fus étonné qu’il se soit écoulé déjà trois heures depuis notre installation. Il se peut que nous ayons dormi. Je remets la petit radio sur mon oreille juste à temps pour l’émission.

 

« Courage à tous les résistants du quartier ! Les militaires ont bien du mal à progresser grâce à votre passivité ! De nombreux blessés mais aucune fusillade ! Les blessures ne sont pas graves, en général, seulement quelques coups de rangers dans les côtes et des chutes dans les escaliers. Il semblerait que les militaires se découragent et qu’ils n’aient jusque là trouvé aucune arme. Leurs certitudes au sujet des terroristes cachés dans cette zone n’étaient qu’un prétexte pour s’entraîner encore à de telles incursions nocturnes. Bravo les résistants !»

 

Les grondements n’ont plus cessé pendant une bonne heure, puis tout devint calme. J’ai pensé que les chars étaient partis. Il me faut attendre encore vingt minutes jusqu’à la dernière émission du soir.

 

Le temps est passé ! Nous n’avons plus jamais capté cette radio. Nous saurons un jour ce qu’il est advenu des ses animateurs. Je crains le pire ! Les prisons de l’armée d’occupation ne sont pas des jardins d’enfants, et les interrogatoires musclés ne laissent pas de bons souvenirs.

 

Il est tout de même incroyable que les puissances financières puissent agir de la sorte : détruire toute une population ! Tout doucement ! Lentement ! Sur plusieurs générations ! Détruire ! Détruire ! Le fric, une nouvelle religion !

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