Je suis fou. Je le sens, je le sais. En avoir conscience ne suffit pas à m'en dissuader.
Fou ! Oui ! Mais fou exceptionnel, socialisé ! Sociable ! Sociabilité de folie ! Tout le problème est là ! Tout est là : un fou à problème, est-ce
raisonnable !
Fou d'une folie sociale dans une société folle des fous, des fous qu'elle fabrique, enferme et fait soigner,
quand elle ne les fait pas saigner ou s’aligner. (en-ferme) (soi-nier) (sait-nier) (sali-nier)…
Mes amis ne désirent plus s'éloigner de moi, au point que je me prends pour le roi. C'est du moins ce qui arrive quand je
ne dis rien qui ne soit que
vent ! Dans le grand couloir et dans la cour ovale s'affairent mes sujets, tous plus ou moins fous qui, depuis l'orbite qui me soutient, semblent fonctionner comme une fourmilière bien familière
à la gravitation universitaire, bien loin pourtant de la gravité universelle. Quel grand asile que cette université !
Mes sujets dociles fourmillent autour d'une reine, invisible pour la plupart, mais tellement présente qu'ils n'ont de
cesse de l'alimenter pour satisfaire à sa pérennité salvatrice. Elle engendre rituellement une multitude de prétendants au trône (qui est mien), que je ne défends qu'à coups d'ordonnances et de
prescriptions. Beaucoup devront disparaître ou se plier à supplier sans cesse pour jouir du précieux privilège de rester dans les bonnes grâces de
Sa Sainteté La Santé, ici honorée au sommet de sa gloire.
Mes objets d'étude, puisqu'il s'agit bien de la recherche dont je veux témoigner, se soumettent sans résistance aux tests et aux manipulations que je leur
propose. Néanmoins, et c'est un point qui entretient une folie bien ordinaire, je sais depuis peu que le fait de n'opposer aucune résistance constitue intrinsèquement la plus suprême des
résistances. Je deviens fou parce que ma théorie se boucle sur elle-même, à chercher sa destruction tout au long de son élaboration. J'élabore sa finitude à peaufiner sa logique.
L'essai que je vous propose ce soir, et vous comprenez que je n'ai pas encore fini l'introduction, aura pour titre : destruction de la théorie par
théorisation. Son but est de vous initier à la compréhension de la folie ordinaire, à savoir que l'on jouit plus volontiers de l'index que de ce qu'il pointe, pour la bonne raison qu'il y a un
plus de fantasme à sucer le miel qui en dégouline qu'à mâter la déconfiture d'une vérité par trop évidente. Cette dernière fait tourner la tête comme pour s'en détourner, tout en osant la flexion
du regard qui s'assure au moins que l'image est exorbitante.
Son ton sera horripilant, ou peut-être désopilant parce que l'opulence d'une vérité, crasse et vulgaire dans sa totalité, inonde toute l'assemblée de sa vase
putride qui autorise chacun à s'abandonner au plus singulier des orgasmes dont la cause ne tient qu'à la passion de la causalité même. Chaque conférence scientifique le dit et le démontre. Il y a
plus à jouir pour le conférencier qui montre sa passion de la cause qu’il défend que pour celui qui démontre la cause de sa passion, fusse-elle une grande découverte.
C'est ici le début, qui suit l'introduction, et je pèse bien mes mots : "sinon pourquoi seriez-vous là ?" Oui ! Pourquoi ne pas jouir de l’introduction ?
L'auriculaire rivalise au majeur la chance de vérifier l'écoute dont l'ouverture pose question. De quel pavillon ai-je ouvert la porte quand un certain
Philippe, populaire à souhait, l'énonce ainsi sans avoir conscience de son génie (Notons ici le féminin marqué par un "euh" muet !) : le purquoi de celui qui s’met à jouir quand la question
complique sa vie!
Purquoi ? Renversant ! Cette apparition d'un autre versant rendu lumineux par l'élision d'un simple "o" ! C’est tout
l’opposé de l’histoire d’ "O". (s’agissant dans les deux cas de l’"o" posé de côté ou dé-posé!)
Renversement de la question, parfaitement synchrone au renversement de la position de l'observateur qui, de voyeur, devient
voyant.
Vous regardez en arrière pour un plus-de-jouir dans la croyance illusoire en une cause qui alimente le savoir. Et désormais vous parquez comme des véhicules
vides qui stationnent, tous feux éteints, à attendre une clé. Une clef de contact qui plus est ! Rien devant ! On tourne !
Mais contact de pur quoi ? Objet de désir, lequel sera détruit s'il est découvert, ou désir d'objet, de cet objet qui n'existe
pas sinon au risque de le détruire.
Il y a plus de plaisir à jouir d'une 2 CV tant le désir est grand, et légitime, d'en avoir 4, alors qu'en Ferrari n'y loge
plus que la place fantasmée d'une starlette, Philip Morrissée, pour ne pas dire blondisée.
Ceci pour avancer que nous sommes là pour une recherche, la mienne, étant déjà plus proche de sa destruction, à savoir la
recherche d'un pur quoi !
Je vais, évidemment, vous décevoir. RIEN N'EST PUR ! Et c'est bien pour cette raison, seule
causalité (vous êtes là pour elle) qui soutienne sans faillir que le rien a du prix, que je crains de ne pas vous mécontenter.
Raymond Devos a joué et jonglé du petit rien qui déjà est un petit quelque chose. Oh ! Trois fois rien
! Et Georges Brassens en a montré le prix en chantant que cela dépend "de la façon qu'elle le donne".
Ma générosité s'exprime ici ! Je vous donne volontiers, et du mieux que je peux, ce que je n'ai
pas, ce tout petit rien qui vaut tant et que je risque de perdre à vouloir le nommer folie.
Je suis fou, mais à n'y plus rien comprendre, quand par exemple le président du jury universitaire s'étonne, à la lecture de mon mémoire, qu'il apparaît dans
mes écrits une soif énorme de savoir. Et je me suis alors posé la question qui rend fou : mais alors, l'université des sciences humaines ne nous apprend-t-elle pas à faire du savoir une tare qui
pèse dans la balance où se déséquilibre tout notre être ?
Suis-je fou à n'y prendre plus rien, dans cette même université où le même président, fort agréable au demeurant, remarque que
je suis "autodidacte". Il m'a semblé à cet instant que lui-même avait ici cette honnêteté de me dire sans l’avouer qu'il ne maîtrisait plus rien. Et ce me semble être très salutaire, pour la
sanction d'un mémoire de maîtrise, lequel traite sans prétention de la phénoménologie de la brutalité, mais dans l'enfer éthylique. N'aurait-il pas finalement
approuvé, à l'image des personnes addictes, en prise avec un produit, que la brutalité se retourne contre soi, en prise avec le produit du savoir, savoir de rien, tare de la pesée des
êtres, folie sociale ordinaire des psychologisants déformant l’écoute à cause de leur surdité.
Gisants, ne le sont-ils pas, tous les subordonnés à l'idéologie scientiste dont la médecine est le prototype ? Mais la brutalité se retourne
toujours et le pouvoir finit par échapper à ceux qui peuvent, mais sans le savoir. Ceux qui savent par contre s'en emparent, mais sans pouvoir rien en plus,
qu'à trouver le Père, le père Magloire chez Boris Vian, payé pour manger la honte partagée.
Main mise sur la médecine et ses officiants à laquelle se joint désormais la psychologie et ses déficients
qui tournent de plus en plus dans la cour ovale et le grand couloir des industries pharmaco-costiques dont le salut ne tient qu'à des petits riens qu'elles donnent volontiers sous forme de
pilules à avaler comme sucre. Et on voit le prix du rien, à ne plus voir rien que le prix !
La prescription pharmaco-politiquement correcte vient en miroir de la brutalité universitaire. Chacun s'y plie au
savoir sans s'y taire, mais sans savoir se plier sous la tare de l'ignorance, la seule qui garde un prix au désir, selon l'étude de Sarah Pain, « La fonction de
l’ignorance ».
Le savoir tourne à l’ignorance dans la spirale du nivellement par le bas, ce qu’on pourrait appeler le vortex de
l’enseignement. L’enseignant s’enferme dans l’œil de ce cyclone brutal, y tourne sans fin pour produire son œuvre de rien que seuls d’autres enseignants pourront parcourir de leurs yeux
d’aveugles et témoigne ainsi de son emprisonnement dans la pensée unique dont la bibliothèque scientifique détient tous les exemplaires modèles. L’horreur du savoir qui ne se veut pas humaniste
vomit sa brutalité avec les armes sectaires de la toute puissance. L’enseignant chargé d’étudier les techniques d’entretien n’est plus tenu à s’engager lui-même dans les entretiens. L’étudiant,
du coup, sera évalué sur son savoir à ce sujet et non plus sur sa capacité à s’entretenir. Il en va de même pour toutes les matières enseignées en faculté. La brutalité de ces formations détruit
les facultés à faire, à partager, à échanger, pour le seul profit des facultés à savoir, à posséder, ou plutôt à disposer des connaissances qui ne servent qu’à entretenir le mouvement du vortex
infernal dans la grande cour ovale.
Plus d'index ! Plus de majeur ! Plus d'auriculaire ! Plus de main ! Puisque tous ces attributs servent dans l’échange et le
partage ! Seul arrive en pleine gueule le poing. Eh ! Vlan ! Prenez ça ! Simplement parce que tu ne penses pas comme moi !
Brutalité du penser unique, folie pour le moins assurée de son coût ! Un coût univers-s’y-taire. Point final !
Un fou d'ordinaire lucide, ou l’inverse, lucide d’ordinaire fou, sorti du DEA de
psycho!