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  • : Le blog de topotore
  • : Les mots invitent à leur traduction afin d'entrevoir sur le mode singulier de chacun cet "au-delà de la langue" si étonnant. La poésie illumine cette frontière.
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15 août 2013 4 15 /08 /août /2013 20:44

En lien sur cet article un reportage d'Arte qui enquête sur le commerce équitable. La démonstration est faite que même les initiatives les plus intéressantes d'un point de vue social sont détournées de leur but premier par la puissance des appâts financiers.

Certes, les défendeurs de l'entreprise ont toujours le même discours, une entreprise doit faire du profit pour se développer, et même pour survivre. Tout le monde est d'accord, sauf que ces mêmes défendeurs omettent de préciser que le profit peut se faire à n'importe quel prix, et surtout au prix de milliers de vie humaines démolies par l'esclavage moderne. Nul frein à ce phénomène mondial, nulle réglementation qui pourrait réguler les ardeurs !

Le seul argument qui pourrait donner à ces entreprises l'occasion de réfléchir serait le boycott. C'est à dire que le consommateur, vous, moi, étonné de ces informations, prend conscience qu'il peut savoir comment sont préparés ou fabriqués les produits qu'il achète et surtout dans quelles conditions et dans quel pays. La seule liberté qu'il lui reste encore, c'est de ne pas consommer ce qui lui fait honte. L'influence sera grande sur les choix de ces entreprises quand leurs ventes chuteront.

Tous les citoyens ont le droit de savoir. Ils ont le droit de savoir que la finance n'a pas de loi qui interdise l'esclavage dans les pays pauvres. Document à regarder en entier et à conserver. Merci aux Fralib de me l'avoir fait découvrir.

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11 août 2013 7 11 /08 /août /2013 21:32

La jeune fille reçut une balle en pleine tête dans l'autobus qui revenait de l'école. Au Pakistan, rares sont les jeunes filles qui ont accès à l'enseignement. Malala milite malgré son âge, 14 ans, pour que toutes puissent bénéficier de l'enseignement, ce à quoi s'opposent les Talibans. Elle échappe à la mort et tout son être milite de plus belle.

Un concours national nous invite à rêver le rêve de Malala sous forme d'un poème.

 

 

Elevées par le rire des compagnes, les fleurs s'épanouissent

Quand la cour joyeuse devient jardin.

De son éclat singulier chacune anime le bouquet

Et le père s'illumine devant la seule qu'il chérisse,

L'unique, l'éblouissante.

 

Bientôt la fleur sera cueillie car le jardin s'ouvre au monde.

Elle devra voler vers d'autres yeux dont le regard n'est plus de père.

Bientôt, privée de culture,

En manque d'eau et de chaleur, sous les coups, petit à petit,

Sa réjouissante couleur passera.

 

Que ne fait-on pousser dans l'esprit des jeunes filles

Connaissance et philosophie,

Appendices acérés qui protègent, qui préviennent l'indélicatesse,

Sachant la richesse du féminin bien plus sublime encore

Que celle d'une rose ?

 

L'atelier du savoir façonnera le bel outil de la pensée,

Autre fleur très délicate qui supporte néanmoins le froid.

Et le cœur alors cultivé,

Chacune, par la parole, soutiendra le désir d'orienter sa vie,

Refusera l'humiliation.

 

La femme, bien au delà du savoir-faire, du savoir fera son lustre,

Expliquera les coups de foudre, osera les vis-à-vis, les face-à-face.

Ils brilleront tous les deux,

Homme et femme formant équipe, et sauront transmettre la joie

A l'heureuse progéniture.

 

Voilà le projet qui m'anime : que toute jeune fille bénéficie

D'un enseignement complet,

Pour que son monde évolue vers la dignité de chaque être.

Qu'elle puisse acquérir enfin, aux yeux de l'homme aimant,

L'ineffable cachet du diamant !

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31 juillet 2013 3 31 /07 /juillet /2013 20:34

Pourquoi écrire ? Pour qui écrire ?

Ecrire pour l'autre ! Un lecteur anonyme ! Ou une connaissance qui n'en croira pas ses yeux ! Comment a-t-il écrit de telle choses ? Et pourquoi ? Ecrire pour une muse à laquelle sont adressés les poèmes ! Un autre ! Une autre ! Un autre en soi !

Ecrire pour soi ! Avec ce souci permanent de se rapprocher d'un bord, du bord de ce qu'on ne sait pas en faisant mine de savoir, du bord de la béance des manques dont nous souffrons, du bord de la connaissance insolente de la dualité entre bon et méchant, entre simple et idiot, entre bonheur et extase, entre parade et présence !

 

Bon ! Nul ne répond jamais à de telles questions, sauf peut-être Fernando Pessoa qui savoure quelque part la science de l'oxymore afin de faire sentir l'insuffisance de toute tentative de sonder l'être, cet être qui, par nécessité, se montre d'une suffisance candide. A bien creuser dans les profondes strates du mystère de l'être, Il se fait le maître de l'ignorance le savant de l'impossible, le chantre de la fuite, afin de conclure que le rêve de chacun est plus vrai que tout ce qu'il veut bien laisser paraître.

Personnellement il me semble évident que le rêve, celui du sommeil comme celui que nous faisons éveillés, ou encore le rêve eidétique réalisé en présence d'un autre, que ce rève donc, donne plus de satisfactions que le vécu quotidien qui se charge de refuser les satisfactions.

 

La perception que nous avons du monde qui nous entoure se ternit au fil des années parce que, justement, nous prenons conscience de ce phénomène. Nos projets, nos ambitions, nos aspirations n'aboutissent qu'à cette douce et lancinante persuasion qu'il n'est bon que de rêver en traçant des croix sur les futurs qui ne cessent de s'éloigner. Et comme le seul futur dont nous percevons la précipitation ne mène qu'à une fin certaine, espèrons en rêvant que les utopies de ces jours qui restent à vivre soient nourrissantes d'espoir et de dynamisme.

 

La citation qui suit me paraît riche à souhaits malgré sa simplicité. Il s'agit du discours d'investiture du Président le l'Equateur, Rafaël Corréa :  "... L'esprit de résistance reste la condition première de toute espérance."

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12 juillet 2013 5 12 /07 /juillet /2013 21:57

Nous avons marché bien haut dans la montagne, marché, marché sans arrêt, juste pour arriver avant seize heures au refuge. Lui, guidé par le devoir et la responsabilité, regardait souvent sa montre pour se rassurer. "Nous serons dans les temps si l'orage de nous ralentit pas." Moi, touché par le merveilleux spectacle de la nature, étonné de nouer au présent la folie des contraintes, je n'avais qu'une envie, celle de faire un pas vers l'immortelle qui vit là, sans avoir besoin de nous. Je l'aurais sentie, car leur parfum singulier me rappelle la consultation de vieux bouquins reliés, tout au fond du grenier. Je l'aurais admirée dans sa parfaite candeur. Elle est tout simplement là, sans la peur de l'orage, sans appréhension face aux gelée qui viennent, sans eau, sans terre, juste accompagnée de sévères roches et de quelques grains de sable. Elle n'attend rien et vit de sa sècheresse, sage dans son destin.

"On presse le pas !" lance-t-il pour s'accrocher au concret. " Mieux vaut arriver en avance que pas du tout !"

C'est imparable ! Qui pourrait se mettre en travers ?

Adieu la rêverie ! Adieu la poésie ! Le devoir d'abord ! On aura tout le temps  de rêver demain, si nous arrivons à temps.

Mais demain, ce sera pareil ! L'homme de devoir se trouve toujours une bonne raison pour éviter de rêver. Alors que moi, je rêve pour fuir les contraintes et je trouve toujours une bonne raison pour avoir dérogé à la règle et manqué la cible.

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30 mai 2013 4 30 /05 /mai /2013 21:24

Nouvel effondrement d'un bâtiment atelier au Bangladesh, près de Dacca.

 

Cette dépèche nous est servie sur les médias entre deux pub et juste avant les résultats du tiercé. La suite ne nous émeut pas beaucoup, en comparaison des performances du rugby toulonnais. Pourtant, neuf étages d'écrasent sur 3000 ouvriers. Quelques uns sont rescapés. Au fur et à mesure des travaux de déblaiement, le nombre de victimes augmente et déjà plus de 912 corps ont été découverts.

 

Des fringues peu cher, en veux-tu en voilà ! Teeshirts pur coton, bien finis, à LIDL pour 5 euros. Pareil à Auchan, Décathlon, Carrefour, Leclerc, Kiabi, Casino, Aldi, Dia, ED, Intermarché, etc.

 

Chemisettes, pyjamas, chaussettes, de belle facture parce que les occidentaux exigent la qualité ! Débaradeurs, pantalons, etc.

 

J'en ai acheté ! Je sais qu'ils sont fabriqués au Bangradesh. Les esclavagistes me rendent complice du malheur des travailleurs payés moins de 30 euros par mois. Complice, parce que je n'ai pas trop le choix. Je cherche aussi les prix bas.


Quelqu'un m'a dit : "mais, si tu n'en profites pas toi, c'est un autre qui en profitera."

 

Si notre pensée s'arrête là, juste à la frontière de l'absence de pensée, sur les rives du fleuve des profits, sur la manette de la machine à sous, sur le regard avide du mort-vivant qui compte ses billets de banque, alors, si la pensée n'a plus besoin d'exister et de s'entraîner, alors, comme le disait Anna Arendt, si l'être humain ne pense plus, tous les extrémismes deviennent possibles.

 

Les dictatures ne s'imposent que là où les humains ne pensent pas. Soit, ils n'ont pas les armes pour penser, parce qu'on ne leur a pas appris à penser. Soit, ils n'osent plus penser, comme ceux qui se contentent de répliquer qu'ils ne font qu'obéïr aux ordres des supérieurs avec cette vrai satisfaction d'accomplir son devoir ! Avec cette conviction : "entre deux maux, il faut choisir le moindre" ! Théorie fumante qui peut justifier toutes les exactions du monde.

 

Jean Ziegler, dans son livre "Le nouvel ordre mondial", écrit que chaque enfant qui meurt dans me monde, est un enfant assassiné, un toutes les deux secondes.

 

Là, au Bangladesh, c'est un millier de victimes d'un coup, et combien de malheur pour les membres de chacune des familles.

 

Que faire ? Militer pour que soit instauré le "revenu de vie minimum et inconditionnel".

Prohiber l'actionnariat, la bourse étant devenu la plus vaste organisation mafieuse que le monde n'ai jamais connue.

 


 


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21 mai 2013 2 21 /05 /mai /2013 22:47

Extrait du livre de Fernando Pessoa : Je ne suis personne

 

 

Ce ciel noir, là-bas au sud du Tage, était d'un noir sinistre où se détachait, par contraste, l'éclair blanc des ailes des mouettes au vol agité. La journée, cependant, ne sentait pas encore l'orage. Toute la masse menaçante de la pluie était allée s'amonceler au-dessus de l'autre rive et la Ville Basse, encore humide d'un peu de pluie, souriait depuis le sol à un ciel dont le nord bleuissait encore de quelque blancheur. La fraîcheur du printemps se piquait encore d'un peu de froid.

Dans un moment tel que celui-ci, vide, impondérable, je me plais à conduire volontairement ma pensée vers une méditation qui ne soit rien de précis, mais qui retienne, dans sa limpidité d'absence, quelque chose de la froide solitude de ce jour si limpide, avec ce fond sombre tout au loin, et certaines intuitions, telles des mouettes, évoquant par contraste le mystère de toute chose dans une obscurité profonde.

Mais voici que, contrairement à mon dessin intime et tout littéraire, le fond obscure du ciel au sud de la ville évoque pour moi - souvenir vrai ou faux - un autre ciel, vu dans une autre vie peut-être, dans un Nord parcouru d'une rivière aux roseaux tristes, et sans la moindre ville. Sans que je sache comment, c'est un paysage pour canards sauvages qui se déploie dans mon imaginaire, et c'est très nettement, comme un rêve étrange, que je me sens proche de l'étendue que j'imagine.

Vaste pays de roseaux au bord des fleuves, pays de chasseurs et d'angoisse : ses rives irrégulières pénètrent, tels des caps sales, dans les eaux d'un jaune plombé, et se creusent en criques limoneuses, faites pour des bateaux miniatures, ou s'ouvrent ici ou là en chenal dont les eaux miroitent à la surface de la vase, cachée parmi les tiges d'un vert-noir des roseaux, qui interdisent la marche.

La désolation est celle d'un ciel gris et mort, se ridant par endroits de nuages plus noirs que le fond du ciel. Je ne sens pas de vent, mais il existe, et l'autre rive, en fait, est une longue île derrière laquelle on devine - quel fleuve vaste et désert ! - l'autre rive, la vraie, allongée dans le lointain sans relief.

Personne ne parvient là-bas, n'y parviendra jamais. Même si, par une fuite contradictoire du temps et de l'espace, je pouvais m'évader du monde jusque dans ce paysage-là, personne ne m'y rejoindrait jamais. J'y attendrais vainement quelque chose, sans savoir ce que j'attendrais, et il n'y aurait, à la fin de tout, que la lente tombée de la nuit, et l'espace tout entier deviendrait lentement de la couleur des nuages les plus noirs, qui s'enfonceraient peu à peu dans le ciel aboli.

Et, soudain, je ressens ici le froid de là-bas. Il pénètre mon corps, venu de mes os mêmes. Je respire forcément et m'éveille. L'individu qui me croise sous l'Arche, près de la Bourse, me regarde avec la méfiance d'un homme que quelque chose intrigue. Le ciel noir, ramassé, est descendu plus bas encore sur la rive sud.

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21 mai 2013 2 21 /05 /mai /2013 22:32

Extrait du livre de Fernando Pessoa : Je ne suis personne

 

 

Je me suis créé écho et abîme, en pensant. Je me suis multiplié en m'approfondissant. L'épisode le plus intime - un changement né de la lumière, le chute enroulée d'une feuille, un pétale jauni qui se détache, une voix de l'autre côté du mur, ou les pas de la personne qui parle auprès d'une autre qui probablement l'écoute, le portail entrebâillé sur le vieux jardin, le patio ouvrant ses arcades parmi les maisons se pressant sous la lune - toutes ces choses, qui ne m'appartiennent pas, retiennent ma méditation sensible dans les liens de la résonance et de la nostalgie. Dans chacune de ces sensations je suis un autre, je me renouvelle douloureusement dans chaque impression indéfinie.

Je vis d'impressions qui ne m'appartiennent pas, je me dilapide en renoncements, je suis autre dans la manière même dont je suis moi.

J'ai créé en moi diverses personnalités. Chacun de mes rêves se trouve immanquablement, dès qu'il est rêvé, incarné par quelqu'un d'autre qui commence à le rêver, lui, et non plus moi.

Pour me créér, je me suis détruit ; je me suis tellement extériorisé au dedans de moi-même, qu'à l'intérieur de moi-même je n'existe plus qu'extérieurement. Je suis le scène vivante où passent divers acteurs, jouant diverses pièces.

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21 mai 2013 2 21 /05 /mai /2013 22:11

Extrait du livre de Fernando Pessoa du même titre

 

Je suis parvenu subitement, aujourd'hui, à une impression absurde et juste. Je me suis rendu compe, en un éclair, que je ne suis personne, absolument personne. Quand cet éclair a brillé, là où je croyais que se trouvait une ville s'étendait une plaine déserte ; et la lumière sinistre qui m'a montré à moi-même ne m'a révélé nul ciel s'étendant au-dessus. On m'a volé le pouvoir d'être avant même que le monde fût. Si j'ai été contraint de me réincarner, ce fut sans moi-même, sans que je me sois, moi, réincarné;

Je suis les faubourgs d'une ville qui n'existe pas, le commentaire prolyxe d'un livre que nul n'a jamais écrit. Je ne suis personne, personne. Je suis le personnage d'un roman qui reste à écrire, et je flotte, aérien, dispersé sans avoir été, parmi les rêves d'un être qui n'a pas su m'achever.

Je pense, je pense sans cesse ; mais ma pensée ne contient pas de raisonnements, mon émotion ne contient pas d'émotion. Je tombe sans fin, du fond de la trappe située tout la-haut, à travers l'espace infini, dans une chute qui ne suit aucune direction, infinie, multiple et vide. Mon âme est le maelström noir, vaste vertige tournoyant autour du vide, mouvement d'un océan infini, autour d'un trou dans du rien ; et dans toutes ces eaux, nagent toutes les images de ce que j'ai vu et entendu dans le monde - défilent des maisons, des visages, des livres, des caisses, des lambeaux de musique et des syllabes éparses, dans un tourbillon sinistre et sans fin.

Et moi, ce qui est réellement moi, je suis le centre de tout cela, un centre qui n'existe pas, si ce n'est par une géométrie de l'abîme ; je suis ce rien autour duquel ce mouvement tournoie, sans autre but que de tournoyer, et sans exister par lui-même, simon par la raison que tout cercle possède un centre. Moi, ce qui est réellemnt moi, je suis le puits sans parois, mais avec la viscosité des parois, le centre de tout avec du rien autour. (...)

Pouvoir savoir penser ! Pouvoir savoir sentir !

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16 mai 2013 4 16 /05 /mai /2013 22:24

Une version très exceptionnelle de ce thème célèbre.

Suit une autre version, tout aussi exceptionnelle , mais dans laquelle il est possible de retrouver le thème , souvent joué à la main gauche. On ne s'en lasse pas !

 

 

 

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16 mai 2013 4 16 /05 /mai /2013 22:14

LETTRE OUVERTE A MONSIEUR LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE



Il est des mots, des discours prononcés, des dérives, en face desquels le devoir d’une prise de parole exigeante s’impose. Notre collectif composé de professionnels -psychiatres, infirmiers, éducateurs, psychologues, psychanalystes…, de patients et de familles, d’acteurs du monde de la culture, est né en 2008 en réaction aux prises de position de votre prédécesseur considérant les malades mentaux comme des êtres potentiellement dangereux. Il s’agissait d’utiliser un fait divers pour alimenter une idéologie politique « sécuritaire », en prenant la personne souffrante pour cible.

Cette position, éminemment stigmatisante a provoqué un émoi justifié parmi les citoyens de notre pays : 40 000 personnes signèrent alors un texte dénonçant vivement cet incroyable recul culturel.

Faire des malades mentaux un enjeu idéologique n’est hélas pas nouveau et la peur ou le rejet de la folie sont toujours présents dans nos sociétés. Or, seul un état républicain et démocratique permet d’accueillir les plus démunis d’entre nous et nous sommes fiers d’appartenir à un pays qui prône les valeurs d’égalité, de fraternité et de liberté. C’est autour de ces acquis que s’est progressivement institué un exceptionnel système de soins solidaires permettant de réelles avancées. Un système qui nous a permis de nous confronter à la complexité inhérente à toute pratique relationnelle : comment éduquer, soigner, être soigné ou comment accueillir la souffrance de l’autre. Cette complexité se nourrit de l’engagement, du doute, de la prise de risques. Elle exige des citoyens libres, créatifs, cultivés. La possibilité de penser est au cœur de ce processus.Une pensée ouverte et partagée, à la croisée des savoirs. Elle est alors porteuse des plus grands espoirs car elle laisse place à la singularité de chacun, à l’expression de la subjectivité et à la création collective. Elle demande une formation de haute exigence, une remise en question permanente, une appropriation par chacun et par le collectif, des projets de soin et d’accompagnements. Mais hélas, depuis une vingtaine d’années, des méthodes évaluatives issues de l’industrie doivent être appliquées à toutes les professions qui traitent des rapports humains, s’opposant ainsi frontalement à notre histoire et à notre culture.

Il a été décidé que nous devrions nous plier à des protocoles imposés par «des experts» bien souvent étrangers aux réalités plurielles de la pratique. Monsieur le Président, pouvez-vous accepter l’embolisation de ces pratiques par des tâches administratives aussi stériles qu’ubuesques ? Croyez-vous qu’il soit possible de coter avec des petites croix la valeur d’une relation, d’un comportement, d’un sentiment ?

Pouvez-vous tolérer que l’on ait confisqué aux citoyens leur possibilité de construire les outils éthiques d’appréciation de leur travail, de leur façon de soigner, d’enseigner, d’éduquer, de faire de la recherche? De leur imposer des normes opposables et opposées à tout travail de créativité ? Pouvez-vous cautionner la victoire de la hiérarchie qui écrase, de la bureaucratie qui règne, de la soumission imposée qui s’étend? Enfin, élément le plus préoccupant, ces protocoles qui excluent la dimension relationnelle de la pratique prétendent s’appuyer sur des bases scientifiques, contestées au sein même de la communauté ! Comme s’il fallait s’exproprier du terrain de la rencontre à l’autre.

Et ces directives s’imposent partout, dans tous les domaines, dans toutes les institutions : cela va des gestes répétitifs et codifiés des infirmiers, au SBAM (Sourire, Bonjour, Au revoir, Merci) pour les caissières en passant par l’interdit de converser avec les patients pour les « techniciens de surface ». Tous les personnels se voient contraints de donner de leur temps à cette bureaucratie chronophage.

Combien d’heures de travail abêtissant, perdu, gaspillé, activités en apparence inutiles, mais qui dans les faits, ont pour objet de nous entraîner dans des rituels de soumission sociale, indignes de la République à laquelle nous sommes attachés. Comment pouvons-nous accepter cela, Monsieur le Président? Comment pouvez-vous l’accepter?

Le réductionnisme est à son apogée : tentative de nous réduire à une technique, à un geste, à une parole désincarnée, à une posture figée. Nous tenons à nos valeurs fondatrices, celles qui font de nos pratiques, un art, oui, un art qui allie les connaissances, le savoir-faire et l’humanité accueillante des hommes qui construisent leur propre histoire.

Ouverte à toutes les sciences humaines et médicales, la psychiatrie se doit de lutter en permanence contre cette tentation réductionniste des évaluations-certifications soutenues par la Haute Autorité de Santé (HAS) qui, sous l’impact de l’idéologie ou de puissants lobby financiers, tendent à anéantir l’extraordinaire potentiel soignant des relations subjectives entre les personnes.

Ainsi par exemple, à propos de l’autisme, de quel droit la HAS peut-elle affirmer que ce qui n’entre pas dans ses codes d’évaluation est non scientifique donc non valable, alors que des milliers de professionnels, loin des caricatures et des polémiques, travaillent en bonne intelligence avec les familles et des intervenants divers, que cela soit sur le plan éducatif, pédagogique ou thérapeutique ? De quel droit la HAS dénie t-elle la validité de pratiques reconnues, que des associations de patients, de soignants, de familles, défendent pourtant humblement ? Au nom de quels intérêts surtout, la HAS a-t -elle imposé une « recommandation » dont la revue Prescrire, reconnue pour son indépendance, vient tout récemment de démontrer les conditions totalement partiales et a-scientifiques de son élaboration ? Comment enfin, lors de la parution du dernier plan Autisme, Madame Carlotti, Ministre aux personnes handicapées, ose t-elle menacer sans réserve aucune, les établissements qui ne se plieraient pas à la méthode préconisée par la HAS, de ne plus obtenir leur subvention de fonctionnement ? Comment un ministre de la République peut-il imposer aux professionnels et par voie de conséquence, aux parents et aux enfants, sans plus de précaution, de travailler comme elle l’ordonne ? C’est une grande première, porte d’entrée à toutes les dérives futures.

L’histoire, la philosophie, les sciences en général nous le rappellent : l’être humain se construit dans le lien avec ses contemporains, son environnement, dans les échanges. Une alchimie complexe, unique à chaque fois, qu’une pluralité d’outils aident à penser. Quelque soit le handicap, l’âge, la maladie, les « troubles » comme on dit, de quel droit priver certains de cet accompagnement pluridimensionnel (et de tous les éclairages dont il se nourrit) ? Toute réponse univoque et protocolaire, qui dénie la singularité de chacun, est à cet égard indigne et au final stigmatisante. Or, cette logique techniciste n’est-elle pas déjà en route dans les autres domaines du soin psychique ? Ce même principe d’uniformisation par voie d’« ordonnance modélisée » ne peut que s’étendre à d’autres catégories de troubles (cernés par le DSM, manuel diagnostique lui aussi éminemment contesté) : à quand une méthode systématisée puis dictée, pour « les dépressifs », pour « les bipolaires », « les schizophrènes », les troubles dus à la souffrance au travail » etc.?

Ne pensez-vous pas Monsieur le Président que cette pression inadmissible procède d’une idéologie normative, véritable fléau pour la capacité de débattre, d’élaborer des idées ? Monsieur le président, entendez-vous qu’il s’agit d’une vaste entreprise d’assèchement du lien relationnel, de mise en route d’une inquiétante machine à broyer la pensée, d’un système qui risque d’amener toutes les parties concernées à l’indifférence et à la résignation?
Monsieur le Président, vous avez les pouvoirs, de la place qui est la v
ôtre, d’agir immédiatement pour que soient remis en cause ces systèmes qui produisent les monstres bureaucratiques de protocolarisation présents dans tous les domaines de la vie publique, notamment en psychiatrie et dans le médico-social.

Il est des mots, des discours prononcés, des dérives, en face desquels le devoir d’une action exigeante s’impose…

Monsieur le Président, nous vous demandons solennellement d’intervenir. Permettez nous de garder l’espoir.

LE 8 MAI 2013

LE COLLECTIF DES 39 CONTRE LA NUIT SECURITAIRE

 

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