De toi, je veux un enfant.
De cet enfant naîtra un autre enfant que je désirerai tout autant.
Dans ces mots saisis à l’improviste, un réel surgit qui se nomme désir, inaccessible désir d’une jouissance impossible qui se tient là, presque à portée de cœur, de corps peut-être, de chair sûrement où se logent nos rêves les plus fous, tirés de ces tensions fulgurantes parfois déchaînées.
De l’autre, il me faut être pleine. Je l’aime à me blottir, envahie. Je le sentirai dans ma peau, dans mon ventre, dans les secousses de cette vie qui commence au plus profond du mystère. C’est mon homme ! Il est à moi, consumé dans mes entrailles jusqu’à me tendre de la femme à la mère, grossie de bonheur et de promesses. Pleurant toutes mes larmes, j’ai déposé mes armes et m’offris toute entière aux feux de cette passion, à ses tortures et ses délices, enlevée par l’élan et fascinée par les bois du cerf dans sa mâle et intransigeante majesté. Il s’est emparé de tout ce que j’ai abandonné. C’est pour lui que je me suis emballée. C’est sur lui que je me suis empalée, comme une lourde vague sur le rostre de granit. J’ai osé l’explosion, le saut vertigineux dans la fureur du désir en folie, en sortie, en fête, en tempête. C’est un jet d’artifice qui m’inondait par le menu jusqu’à m’assaillir de tous ses feux dans un bouquet lumineux où je fus princesse et reine de l’explosion du monde. J’étais la naissance même de ce monde en explosion, et le monde lui-même où explosait la naissance. Je serai cet enfant et la chair de cet enfant. Je vivrai sa chair comme il se nourrira de la mienne.
Pourtant, cet homme, je ne le connais pas.
Je ne sais rien des hommes sinon que ce sont des mâles comme l’étais mon père, fragile et fort, contrariant et aimant, fier et amère, osé mais maladroit. Je sais qu’il était amoureux de la fillette que je fus, toute vibrante d’adoration pour sa puissance et sa protection, apprêté auprès de moi quand je sautais sur ses genoux et lui montrait ma grâce en cherchant son admiration et l’exclusivité de ses regards. Je sais que déjà le féminin se cachait en mystérieuses interrogations dans ses yeux et ses oreilles, au point que parfois il se résignait à éviter de comprendre. Il me paraissait alors bien autoritaire, mais la frontière de l’infranchissable servait de clé à mes fenêtres sur l’envie. J’aimais qu’il me pointe sur sa carte le passage de mes taquineries. J’aimais qu’il s’emporte à l’orée de mes excès où se nourrissaient nos échanges et planait son amour de père, objet volant mal identifié. J’aimais ses précautions devant les jeunes chasseurs qui en voulaient à mes atours. J’aurais aimé qu’il fût à moi, l’homme qui m’a grandie, qu’il fut à mes côtés dans les situations délicates qui signalaient son absence. J’aurais aimé qu’il m’apprenne tout de l’homme, et qu’il m’épargne ce temps perdu à s’abstenir d’oser par ignorance et par crainte de l’inconnu.
Je me suis abandonnée et l’homme m’a aimée, cet autre que j’adore et que je crois avoir choisi. Ne fait-on jamais le choix ? Croyons-nous pouvoir le faire ?
J’aurai un enfant de toi ! Et cet enfant sera mon petit homme ! Il me fera à son tour le plaisir de m’offrir un petit enfant. Du mystère, on ne saura jamais rien de plus ! Mystère !