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  • : Le blog de topotore
  • : Les mots invitent à leur traduction afin d'entrevoir sur le mode singulier de chacun cet "au-delà de la langue" si étonnant. La poésie illumine cette frontière.
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14 février 2010 7 14 /02 /février /2010 22:55

 

Enfin ! J’y suis ! Cette petite terrasse naturelle va me permettre de caler la moto ! Lisbonne est loin, mais je fuis sur l’instant toute rêverie pour préparer mon campement. Les deux jerricans de réserve restent bien accrochés malgré la longue route chaotique à travers la steppe ! Il est seize heure et je suis moulu. Je décharge la minuscule remorque et dresse la tente.

Ah ! les plateaux de Mongolie ! Ces étendues verdoyantes à perte de vue ! Ces immensités vallonnées comme le creux des reins des jeunes étudiantes qui passaient devant ma fenêtre ! Je me sens tout petit et m’imagine déjà marchant vers les montagnes qui se dressent au loin. Je ne rencontrerai personne et j’aurai la chance peut-être d’apercevoir un troupeau de petits chevaux sauvages. Je me laisserai rouler sur les pentes douces, dans l’herbe du printemps. Demain !

Pour le moment, je vois combien le soir descend vite en regardant les sommets déchirer le ciel pour voiler le couchant. Mon camp est prêt et je vais savourer un Bolino, le premier de toute ma vie, avec une jouissance feutrée à découvrir ce spectacle grandiose auquel j’avais tant rêvé. En tailleur sur la natte et bien pelotonné dans ma chaude polaire, je contemple le spectacle et me surprend à compter les sommets qui animent le ciel rougeoyant. L’air est bon, frais, vivifiant. Il me lance des effluves d’herbes humides, des odeurs de petit rongeur, sûrement traqués par le grand aigle que je voyais tourner très haut, des cris de bêtes que je ne peux reconnaître. Mon attention se mobilise dans tous les sens et j’ai vraiment l’impression de vivre comme un enfant curieux de tout. Je déguste cette boisson qui, en poudre, déshydratée, me paraissait insignifiante. Mais ici, en Mongolie sauvage, isolé du monde, les moindres choses prennent une importance insoupçonnée.

 

Le noir du ciel descend comme une mousseline légère et glacée, laissant apparaître un ciel constellé de points lumineux pétillants, jusqu’à cette voie lactée qui présente ici une densité si forte qu’elle me sert d’éclairage malgré l’absence de lune. Mais on m’a dit que le froid serait féroce ces jours-ci, d’autant plus que le vent ne tarderait pas à se lever. A cette altitude, le temps change en quelques minutes. Par prudence, je cale ma tente avec quelques grosses pierres arrachée à la prairie avec difficulté. A peine ai-je terminé qu’une bourrasque subite emporte mon toit et fait tomber la moto sur le flanc. Je serre la grande cape dont je m’étais revêtu et m’allonge rapidement au sol pour ne pas décoller. En fermant les yeux, j’entends le souffle des rafales qui essayent de tondre les herbes et poussent mon petit réchaud à gaz qui roule sur les pentes en sautant sur les obstacles. Heureusement, j’ai eu juste le temps d’accrocher à mon bras les lanières de mon sac, le seul bien qui me reste. Deux petites bêtes que je prends pour des renards viennent me renifler avant de détaler. La situation n’est pas brillante. Je décide de creuser un trou pour m'y glisser, et de jeter la terre contre le vent espérant m’en protéger un peu. Mais je dois vite abandonner, ma petite pelle pliante curieusement nommée pelle de survie, n’ayant aucune puissance pour creuser cette terre gelée. Comme tout ce que je peux faire à cet instant, je trouve cela dérisoire face aux éléments qui se montrent de plus en plus menaçants.

 

Le ciel s’assombrit. Plus une étoile ne scintille. La pluie se met à tomber, comme la température. Bientôt, la pluie dépasse tout ce que j’avais imaginé. Les gouttes me paraissent énormes et me frappent à l’horizontale, comme projetée par une batterie de lances à incendie. Je suis trempé en quelques instants et ne sais plus quelle décision prendre.

Charger ce qui me reste, et repartir en moto ? Impossible ! Me perdre dans l’immensité de la steppe ! Le téléphone ? C’était un portable. C’est devenu un jetable ! Marcher pour éviter de geler sur place ? Marcher. C’est ma seule issue ! Ma seule chance ! Je dois marcher !

 

Je n’ai pas le choix ! Je dois marcher en tournant le dos au vent, capuche relevée même si l’eau la traverse. La lampe de poche étanche ne servira qu’en cas d’urgence. Mes yeux s’habitueront quelque peu au noir ! On peut tout au moins le croire ! Je me sens seul ! Pourtant, je suis habitué au noir ! Terré dans mon petit réduit de Lisbonne avec une faible ampoule, je ne pouvais que m’habituer à la faible luminosité. Le soleil ne venait jamais frapper ma fenêtre...

 

Je marche avec précaution, courbé jusqu’à pouvoir poser les mains au sol, les genoux fléchis pour vaincre chaque coup de vent mouillé, relevant sans cesse ma capuche sur le gros bonnet, mouillé aussi. J’ai fini pas attacher le tout avec une des sangles de mon sac en la faisant passer sur mon front. Je marche et je compte les pas. Machinalement ! Je ne pense à rien d’autre qu’à marcher en évitant de tomber. Ce qui me guide, ce n’est pas une direction mais la seule force de la pluie que je ne pourrais pas regarder en face. Je n’ai d’autre choix que de lui présenter mon dos recourbé !

 

Dix huit mille pas ! Rien n’a changé ! J’ai toujours froid, mais je suis vivant ! Je suis transi, trempé à cœur ! Trente six mille pas ! Peut-être une vingtaine de kilomètres. Le jour se lève avec peine et pourtant, le paysage semble immuable. Tout au moins, le peu que j’arrive à voir. Je trébuche souvent ! Je chute ! Je chute et je parts ! Ensuite, je ne sais plus !

 

A mon réveil, j’entends hennir quelques chevaux. Des odeurs m’agressent. Mes vêtements ont changés, et je me sens au sec. Je suis dans une yourte et quelqu’un, de dos, s’affaire sur un vieux poêle. Que ça sent mauvais ! Des enfants me regardent en souriant.

 

« Ils m’ont tiré d’affaire ! » C’est une phrase que nous disait souvent le directeur du lycée quand il racontait des épopées de sa résistance clandestine. « Vous m’avez tiré d’affaire, mon cher comptable ! Je ne saurai jamais comment vous remercier !

Un jour, moi, j’avais su. Je lui avait demandé un congé sans solde afin de participer à un concours. Je regrette maintenant de m’être laissé embobiné par cette émission de télé ! En effet, je me sens redevable et je vais apprendre à vivre cette vie de nomade en Mongolie pour les remercier de m’avoir sauvé. Ce n’est pas de conte dont j’avais rêvé !

 

Si je m’écoutais, enfin ! Si je le pouvais !Je reprendrais bien ma petite vie confinée, bien au chaud avec mes amis les chiffres. J’attendrais les beaux jours pour lever le nez sur les jolies courbes de reins qui défilent devant ma petite fenêtre.

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