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  • : Le blog de topotore
  • : Les mots invitent à leur traduction afin d'entrevoir sur le mode singulier de chacun cet "au-delà de la langue" si étonnant. La poésie illumine cette frontière.
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3 août 2009 1 03 /08 /août /2009 11:39

 

Ce matin là, le 18 Juin 2017, Jules se lève, mais pas tout entier, divisé. Par quatre chemins, disons qu’une impression de dédoublement le sidère, le scie même, pour faire plus court, comme un tronc, ci-accroché à ses racines intactes et bien enroulées dans la couette jaune soleil, et là décroché, debout chancelant, craignant de lever les bras pour ne pas distendre la distance qui le sépare de sa base. Confusément, quelque chose passe à travers lui, quelque chose qui sépare, comme en 1917, un bout d’humanité de l’autre. Lénine écrivait, trois jours après dans la Pravda : Que le peuple en finisse avec la politique de confiance aux capitalistes, qu'il fasse confiance à la classe révolutionnaire, au prolétariat. (Cours de philosophie terminale !) En comptant les cercles concentriques de la section, là où Jules s’est séparé, on trouve dix huit ans. C’est un âge plutôt encourageant pour l’excentrique ! C’est aussi dans ce même jour, en 1940, que de Gaulle lançait son appel depuis Londres. Jour anniversaire ! Jour mémorable ! Il va se passer quelque chose !

 

Les plumes de l’oreiller échappent à l’enveloppe, sans précipitation, volent telles des petites feuilles d’automne, mais, pas comme d’habitude. Déçues d’avoir perdu leur ombre théoriquement projetée sur le sol, elles remontent vers la toison hirsute de l’ado, réveillé avec peine. Vision surprenante ! Il passe une main dans ses branchages chevelus et dérange des moineaux. De retour, sa main tient un petit nid tout chaud dont la vue le fait sourire à grosses dents. De main morte, il gobe les deux petits œufs qu’il considère comme les protéines du matin. « Fort bien ! » a-t-il alors pensé, la reconnaissant précisément parmi toutes les autres, cette pensée de pure autosatisfaction ! Puis il dépose le nid sur la terre du ficus qui regarde au loin, par delà la fenêtre, bel et bien prisonnier, lui, de ses racines empotées.

Jules hésite à se raccrocher aux branches, cisaillé par la situation. Mais pour  une fois que ses racines dorment en paix et que l’occasion de s’en séparer signe le destin, autant ne pas reculer. Aujourd’hui, c’est une petite révolution ! Pensée parmi d’autres telle un petit clic qu’il tiendra par la suite pour la raison des actes du jour. C’est ainsi que, d’un petit coup de reins, le jour de son anniversaire, et le jour anniversaire des premiers anticapitalistes, il se dégage. Il se dégage surtout de lui-même, et dans un sens comme dans l’autre, il est scié pour de bon ! Il a l’impression de muer. Bien sûr, il ne va pas changer de peau, le ficus non plus, mais il va se sentir dégagé ! Bien dégagé ! Tandis que certains s’engagent, lui se dégage ! L’idée lui plait quand une autre lui vient de se comparer à un nez, un nez qui depuis si longtemps aurait pu vraiment souffrir de ne pas être dégagé. Il respire et sautille comme s’il était tout neuf, fier d’une liberté née, toujours préservé de l’asthme. Il pense à l’asthme parce qu’un camarade en souffre. Il pense aussi au camarade parce qu’il a de l’asthme. Les deux sont possibles simultanément ! Et là, vraiment, ça lui pose question !

 

La couette jaune soleil, toute gonflée il y a quelques secondes, se range bien à plat par quelques ondulations sensuelles et paraît se sentir, elle aussi, dégagée. A faire un rapide bilan de tous ces dégagements, on remarque finalement le ficus et sa triste mine, le seul à ne pas pouvoir en jouir. « Si j’avais su, j’aurai viré mes racines depuis longtemps ! dit-il au ficus ! Ca me paraît si facile maintenant ! A peine ai-je fait le pas décisif qu’elles se sont dégonflées dans la couette ! » Il lui semblait avoir vécu dix huit ans comme un tronc, handicapé par le poids de tout ce fatras de préconçus qu’on lui avait mis sur le dos. On ? La famille ! S’entend ! Et sa mère, surtout ! Ah ! La mère ! Mais c’est une autre histoire ! Quant au ficus, on verra plus tard ! Pour sa patience, il lui donne à boire. Le ficus boit tout, le regard hagard, comme un russe blanc, un 18 Juin, cherchant si sa montre à gousset n’avait pas modifié la tournure des aiguilles, par esprit de révolution.

 

Le plus délicat se présente maintenant. Une fois la couette aplatie, une fois replié le lit dont un petit cri donne le signe d’un repos mérité, une fois reconstitué les morceaux de son être renaissant, il arrive ce qu’il craignait le plus : désirer, ou plutôt trouver un désir à mijoter, à caresser dans le sens du duvet, à choyer comme un petit feu ronronnant qui redonne confiance, trouver ce désir qui viendrait du fond de lui-même, d’un fond dont l’existence n’est, chez lui, pas évidente. Il découvre alors qu’il vivait jusque là sans fond probant, au point que bien sûr, et c’est une révélation, pas une révolution, il comprend pourquoi cette impression de toujours s’enfoncer lui enlevait tout embryon d’élan. Pour sa propre patience, il se fait un café, déterminé. Si déterminé qu’il lui vient l’idée de tout transformer. Il en oublie que ce n’est là qu’un désir à mijoter, à caresser… et tout le reste Il passe à côté, goûte enfin son café sans même avoir dégusté la moindre goutte de son désir.

 

Une voix se fait résonnante depuis le fond de l’appartement, fond cette fois précis, là-même où gigote la machine à coudre sous les doigts de sa mère : « Jules, ne prends pas trop ton temps, tu passes aujourd’hui ta première épreuve ! Ne le perd pas non plus ! C’est une question de philo ! »

 

Avec son café, Jules retourne dans sa chambre et s’étonne de trouver maintenant le ficus juste sous la fenêtre, fenêtre qu’il n’a pas souvenir, en gros, d’avoir ouverte en grand. « J’ai décidé de bouger un peu et, comme toi, je voudrais tout transformer. Mais ce n’est pour l’instant qu’un désir ! » croit-il percevoir comme si la plante l’encourageait. Sa surprise grandit encore quand il lit ces quelques mots signés d’une plume dans un angle du plafond. « Les choses ne sont pas si compliquées que ça ! » Il lui semble que sa toison broussailleuse se dresse en forêt de points d’exclamations et d’interrogations. Avec le dégel, qui suit le gel dont il abuse, l’image doit être fâcheuse, ce dont atteste le miroir qui le regarde et compatit. Jules sourit et saisit un peigne fin, d’une main, une petite idée de l’autre et se coiffe de la casquette de « cabnotien », qui lui donne l’air si intelligent. C’est mieux que « cabotin » ? Non ? Confirmation du miroir ! 

 

« Si les objets prennent leur liberté, tout comme les racines qui m’ont laissé, lasses de me retenir, se persuade-t-il, c’est qu’un message du monde m’ouvre une voie inconnue qu’il me reste à décrypter. » Et, bien que ce jour de l’épreuve de philo dérange quelque peu les esprits candides, Jules perçoit la quiétude d’une confiance jusque là jamais éprouvée, tout avec l’excitation légère que procure la nouveauté. Comme pour satisfaire au plaisir de développer des idées inexplorées, l’image de l’union entre matière et antimatière se superpose à la collusion entre choses et êtres, en traversant les moirures pourpres et bleues qui font trembler la lumière de sa chambre. Il ne lui manque plus qu’à y ajouter encore les alliances du passé et du futur, à l’ombre d’un génome enrichi de formules indescriptibles, pour entrevoir d’un coup que le sujet de l’épreuve s’inscrit là sur la porte qu’il vient de refermer. « Tout est simple ! L’avenir se fait radieux pour chacun de ceux dont le passé n’obscurcit pas les aspirations du présent. La liberté n’est rien sauf à cesser d’avoir cette croyance erronée qu’à marcher sur d’anciennes traces on en perd sa confiance en l’avenir. »

 

Comme venant d’ailleurs, la voix d’une mère insiste avec inquiétude. « Ne sois pas en retard, ce serait dommage. Tu mets en jeu ton avenir. » Jules ne réfléchit plus. Il est content de sa certitude. Il connaît bien son sujet et donne la dernière goutte de café à son ficus. « Vas-y, pas de problème ! » entend-il. La porte de sa chambre s’ouvre seule et d’un fond de couloir, une machine entend se refermer celle du palier. Les plumes jettent toutes leurs idées au plafond, comme sur la surface de projection dont userait Jules pour dérouler les formules de son nouveau monde. Après la victoire de la raison, celle de l’induction !

 

Trottinant d’un pas léger, Jules discourt avec son lui tout récent comme s’il récitait un cours déjà bien assimilé, celui de la vie. Au passage, il reconnaît quelques traces tenaces des heures denses de son professeur de philo, mais il peut les repasser sans peine en modifiant certains plis. Les rendre compatibles, adaptées à ses conceptions présentes ne lui pose aucune difficulté. Son goût pour les sciences et les avancées technologiques prend soudain des mesures qu’il ne soupçonnait pas. C’est au point que les choses et les pensées s’organisent d’une manière toute simple et raisonnable sans qu’il soit besoin d’autre justification que leur description précise, concept de l’induction sensible. C’est ça le désir ! Le futur lui apparaît alors plus sûr et plus serein avec cette assurance de la puissance des éléments dans l’organisation même des fonctions auxquelles ils choisissent de s’infléchir en toute liberté. La certitude que les choses s’ordonnent selon les lois pérennes d’un cosmos dont nous ne connaissons qu’une infime partition augmente son assurance et Jules sent bien l’axe de cette nouvelle stature qui le maintient debout, en marche vers une destinée qu’il accepte désormais, libre, et qui dépasse largement les obligations du jour.

 

Il marche. Il se projette dans son futur métier d’ingénieur où se joindront défis technologiques et préoccupations humanistes suivant les algorithmes dont décidera la machine intelligente qu’une multitude d’êtres et de capteurs alimenteront, également, d’informations et de données numériques, en permanente surveillance depuis le surpuissant centre mondial d’exploration mathématique que les nations, d’un même élan, auront implanté sur la lune. Le CLEM, le centre lunaire d’exploration mathématique, pour nous, ou à l’envers pour les autres, ceux qui le disent en Anglais. MELC ! Pas très parlant ni beau ! LMEC ! Encore moins !     

 

Il marche ! Il pense à un futur proche. Sur la lune, il visite le centre où s’activent en cordiale collaboration des milliers d’êtres et de choses. Il marche sans effort dans le labyrinthe duquel il accepte humblement une paternité reconnue de tous. Ses yeux n’ont de cesse de s’enthousiasmer et satisfont sa curiosité. Il voit sans voir en marchant dans un autre monde. Certains l’ont vu animant, sur la cadence décidée de ses pas assurés, de long bras expressifs qui lui donnaient l’air d’un guide passionné par ses démonstrations. Dans ses appartements spatiaux, un ficus, avec un petit nid ! Au plafond des plumes et sous le dallage de verre un gros projecteur pour que les ombres se projettent au plafond. Tout n’est que trace, même la couette jaune et dégonflée qui se voit sur une photo. « Ce sont les petites choses qui m’ont fait naître ! J’avais dix huit ans ! » se dit-il en imaginant sa nomination prochaine là-haut, nomination qui couronnera les brillants résultats se sa thèse sur l’induction sensible.

 

Cinq ans plus tard, là-haut, au-delà d’une grande baie vitrée s’allume le beau spectacle du clair de terre que jamais il ne manque en se souvenant avec le sourire de son échec à l’épreuve de philo, trace d’un passé dont il fait encore une lecture amusée, avec une petite pensée affectueuse pour sa mère qui, dans le fond, lui laissait toute liberté de devenir autre. « J’ai eu du nez, ce jour là ! » se dit-il sans transition, mais pas dégagé pour autant de cette question restée depuis sans réponses. Comment les deux sont-ils possibles ? Penser au copain à cause de son asthme et penser à l’asthme à cause de son copain. En ingénieux poseur de questions, il se demande aussi quand on pourra voir une même porte fermée et ouverte à la fois ce qui nous ferait aller au-delà de la relativité !

 

Un nouveau désir le surprend. « Je voudrais penser à l’air libre ! »

 

Ici, nous pouvons l’entendre de plusieurs façons, mais là-haut, dans la lune, ça n’a pas de sens ! On peut penser à l’air ou encore avoir l’air de penser. Mais depuis longtemps, on ne peut plus penser à l’air libre !

 

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