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  • : Le blog de topotore
  • : Les mots invitent à leur traduction afin d'entrevoir sur le mode singulier de chacun cet "au-delà de la langue" si étonnant. La poésie illumine cette frontière.
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29 mai 2009 5 29 /05 /mai /2009 22:38

Malheureusement, le Sénateur Chronoplus gisait à mes pieds, défiguré par la lance à triple tête d’un membre géant du soulèvement des rebelles. Ses yeux exorbités semblaient fixer mon orteil gauche comme pour lui reprocher l’ongle si fortement incarné. D’ailleurs, il me faisait souffrir. Et, malgré les onguents d’extraits de sauge sauvage et les cataplasmes de fraîches immortelles du jour, aucune amélioration ne se manifestait, au contraire de ce brave Chronoplus qui fut plus rapide à tomber qu’à se mettre en selle, ce qui aurait pu laisser présager d’une augmentation sensible de la rapidité d’exécution de ses actes. Je détournai les yeux pour sortir de mes idées improbables et sentis  la colère me saisir de plus belle, moi, fidèle parmi les fidèles, Claudio Stressius Dipaplus, colère qui me venait du ventre encombré de flatulences.

Mes dernières forces se rassemblèrent pour donner plus de poids à mon courage, et je fis involontairement un gaz ébouriffant à la vue de ce gigantesque soldat rebelle qui manipulait une triple lance avec la même aisance dont j’abuse quand je bouge le bras délicat d’une galante qui fait mine de refuser le baiser. J’eus pendant un instant l’impression de grandir en puissance et en volonté, justement ce qui me manquait le plus, du fait inavoué que je sois peu convaincu de mon choix en faveur de César. Je criai néanmoins à mes fantassins de ne pas regarder en arrière, surtout pour ne pas rater la première marche du forum, de ne pas considérer leur propre vie sauf après avoir juré fidélité à Rome, la grande Rome qu’il fallait sauver absolument quel qu’en soit le prix, ce qui fit sourire mon second qui m’expliqua que cette fidélité à Rome n’avait pas de prix puisqu’il n’y aurait aucune reconnaissance ni récompense sauf le plaisir d’assister aux jeux pour applaudir César, le pouce en bas.

C’est alors que je vis ce souriant et fidèle compagnon d’armes en difficulté, Bonus Fama Antimalus, qui disait souvent, pendant les nombreuses campagnes que nous avons menées : « tu as toujours le bon mort pour rire », ce qui s’appliquait parfaitement au pauvre Chronoplus mort avant la livrée. Le soldat géant l’attaquait avec sa lance de Neptune, et le forçait à s’adosser aux colonnes du temple de Vénus ce qui l’engageait à un corps à corps inégal, le casque de l’un contre le ceinturon de l’autre, tout près de la lourde porte fermée, derrière laquelle se réfugiaient les prêtres et les officiants, encore plus courageux qu’hier à se barricader. Le lourd assaillant énervé, celui que des soldats nommaient Haltausurcis, taillé comme un roc, assurément après avoir défiguré Chronoplus, venait de franchir la passerelle de bois, ou plutôt les quelques madriers, que nous avions maintenus sur les gradins de l’esplanade qui faisaient face à la colonnade du temple. A l’opposé de cette longue colonnade, fanfaronnait le Colisée que le soleil du soir embrasait de ses feux ocre et or. Il animait les ouvertures en dessinant des ombres fortes, et ce spectacle m’éloignait de la réalité. Mais pas pour longtemps !

Antimalus fit mine de reculer, puis glissa sur les marches du forum, déjà jonchées de diverse armes abandonnées et de flèches à moitié calcinées, ce qui le forçait, dans son mouvement spontané de rétablissement, à esquiver le coup du géant par une pirouette qui lui valu de s’étaler de tout son long en glissant jusque sous les madriers. Je me suis mis à rire, comme un gosse dans le péristyle de la maison quand il voit trébucher un esclave, en faisant pipi dans un angle. Le géant, Haltausurcis, dans son élan considérable, porta le coup dans le vide et, entraîné par le mouvement de sa lance diabolique, fit ventre sur les madriers, se coinçait le bras dans l’interstice qui les séparait, et terminait après retournement sur le dos, dans une flaque du grand forum dont l’eau était rouge sang et souillée de plusieurs viscères arrachées. Je me jetai alors sur lui, jugeant la situation à mon avantage et propice à exhiber tout mon courage et ma vaillance entière, malgré ce pouce douloureux qui me faisait par moment claudiquer. Je lui coupai la tête d’un coup maîtrisé, tranchant avec une telle violence que mon glaive fut détruit.

Un bien pour un mal ! Le bout du glaive cassé vint cisailler la lanière de ma sandale gauche et libéra mes doigts de pieds, au prix d’une fin de journée à terminer pieds nus, surtout à gauche ! Un autre soldat attaquait mon compagnon Antimalus resté étourdi dans sa chute, mais devant ma détermination, il détala comme un furet en essayant de se soustraire à ma vue sous les colonnades qui formaient cette perspective ombragée, alignée face au colosse de l’esplanade. Mais je le pris à son propre jeu et me cachai aussi, faisant signe par geste à mes fantassins d’encercler les constructions par groupe de seize pour adopter la formation de la tortue qui impressionne tant l’ennemi. Je leur précisai de garder les ruelles en contournant l’édifice jusqu’au temple de Rome qui prolonge celui de Vénus. Tout à coup, je me trouvais en situation de le poignarder dans le dos, le voyant tétanisé derrière l’énorme socle abandonné d’une statue de marbre qui n’a jamais été érigée, l’oreille aux aguets, espérant déceler mes pas. Je le poignardai sans état d’âme et béni le sculpteur de n’avoir pas dressée sa statue. Le vilain paraissait tellement perplexe à la découverte de cette absence qu’il n’avait plus la présence d’esprit pour réagir. De plus, je crus comprendre après coups qu’il profitait de la baisse de tension pour uriner tout son saoul ! Je reconnu après sa chute, l’intellectuel, grand admirateur de statues, le traître de Sénateur qui avait fomenté la rébellion, Fabius Erictus Bessonnius, du reste assez mal taillé pour les armes. Sa traîtrise n’avait eu d’égal que sa détermination odieuse à se hisser au rang des grands de la troupe de César, par ses discours pompeux sur l’art, alors qu’il n’avait ni l’étoffe ni la vocation de l’engagement envers la nation, détermination d’autant plus monstrueuse qu’il n’hésitait nullement à provoquer des complots qui compromettaient tous ses adversaires et dont César n’aura jamais découvert les origines, jusqu’à ce jour. C’est ce qu’il écrira dans « La guerre des Gaules » !

Antimalus piqua le tête de Bessonnius pour la hisser en trophée au bout de sa lance et pour haranguer les vaillants soldats qui redoublaient d’effort afin de vaincre l’ennemi maintenant défaillant. Mais ceux qui restaient groupés en tortue avec les boucliers sur la tête ne voyaient rien avant que je leur ordonne de rompre la formation. Ils firent alors avec lui le tour des temples et revinrent au colosse en victorieux, par l’allée des colonnes, résonnante de leurs cris.

 Déjà les prêtres chantaient des hymnes dans le sanctuaire et Vénus, pour cette fois, entendit leur dévotion au point que l’ennemi semblait battre en retraite. Le soir tombait et les ombres s’allongeaient sur les façades ocre et rouge. L’armée défaite semblait plus nombreuse encore et cela honorait notre vaillance en satisfaisant notre fierté de combattants fidèles. On en dénombrait une bonne trentaine plus au moins usés au combat, et apparemment démotivés devant notre nombre, sûrement abusés par les mauvaises informations qu’avait expédiées Chronoplus.

Comme je contemplais cette retraite, un de mes hommes tomba sur ma sandale, à droite. Par réflexe, je tournai ma lance vers l’arrière et pointai le ventre de l’assaillant. Il marchait d’un pas décidé suivi d’un jumeau et tous les deux vinrent s’empaler comme des automates. Le poids de ma prise fut tel que je lâchai tout et glissai sur le pavé maculé de boyaux gluants. Mon dos heurtait sévèrement l’angle du socle de marbre qui soutenait le colosse et je perdis connaissance. Tous mes soldats me crurent mort. Et c’est peut-être la raison de ma survie. Dans sa retraite, l’ennemi ne fit aucun cas de mon cadavre, que l’ombre du colosse recouvrit bientôt, et qu’aucun de mes homme ne tentait de réanimer, ce que je leur fis payer sévèrement.

Dans les sous-sols du Colisée, nos prisonniers criaient grâce pour le prix de quelque révélation, la plus part du temps mensongères ou encore source de zizanie entre nous. Mais chacun de mes officiers en demandait plus et faisait signe aux bourreaux d’insister, avec des gestes explicites qui faisaient monter l’appréhension des condamnés. Les torches faiblissaient mais le son des trompettes de la victoire se rapprochait, rythmé par le martèlement des pavés sous les sabots de la garde rapprochée de César. Toute la troupe se mit en ordre serré jusqu’à l’entrée principale du Colisée. Les torches illuminaient les hauts murs de la façade quand les chevaux se furent alignés les uns aux autres afin de laisser passer le grand César, sous le salut impérial de sa garde.

César lui-même descendit aux sous-sols où nous l’acclamions par des cris de victoire, malgré notre fatigue, en prenant soin de rectifier au mieux notre tenue. Fort de ses propres expériences de bataille, il honorait bientôt chaque soldat pour sa vaillance et mesurait ses efforts à ses odeurs et aux traces du combat sur les fers et le cuir des ceinturons. Etonné de voir l’état de nos sandales ou, pour certains leur disparition, il ordonna de cesser le travail en remarquant un prisonnier bien mal en point. Il chercha son regard et, sans le trouver puisqu’il avait tourné, lui dit néanmoins ceci : « Toi aussi, Pompée, tu es devenu mon ennemi ! Regarde-moi, si tu le peux ! Ne t’ai-je pas fait marcher à mes côtés pour partager avec toi mes moments de gloire les plus précieux ? Je vais te montrer ma mansuétude pour que tu découvres à quel point tu te méprends sur mon compte. Et je serai magnanime, quand bien même tu ne daignes pas m’adresser un signe de remerciement, les yeux dans les yeux ! Qu’on le libère et je le soutiendrai moi-même jusqu’à ses proches, non sans vider ses poches pour avoir le nom de tous les rebelles que Bessonnius a cru bon de soulever.

S’adressant de nouveau à Pompée, et sur un ton de condescendance humiliante : « Ce que je te souhaite, c’est de vivre vieux maintenant avec cette pensée permanente que tu me dois la vie. Retourne dans ta province et meurs de cette seule pensée que tu n’auras jamais pu te hausser jusqu’aux lanières de ma cheville. Quand à ton bras droit, ce fidèle compagnon d’armes dont tu étais si fier, Flavius Gratepus Malautrus, son état ne nous permet pas d’en faire un bon gladiateur et ma main l’achève dès cet instant pour éviter d’avoir à supporter plus avant ses cris et ses gémissements. Je sais qu’il était promis à ta fille ainée. Mais celle-ci m’appartient déjà et se prépare dans mon palais à festoyer avec les miens, dans le service et l’honneur d’espérer être pour un soir la cible de mes avances les plus tendres et pressantes. »

César a soutenu Pompée jusqu’au milieu de la haie d’honneur que lui réservait sa garde montée. Puis il l’a abandonné à ses maigres forces pour le voir se traîner dans l’ombre d’une colonne avec l’espoir que les siens viendraient le chercher.

Les hurlements reprirent sous le travail des bourreaux et les futurs gladiateurs furent sélectionnés tandis que les autres étaient lentement achevés, à mesure que les révélations devenaient plus précises, et aussi, plus fantasques. Les chevaux impériaux s’éloignaient avec les trompettes et les torches, laissant l’odeur agréable de leur crottin qui nous changeait des odeurs du massacre. Je pensais pendant un long moment au fastidieux nettoyage des mosaïques et de tout le dallage du forum dont César me chargerait bientôt et je ne savais pas encore s’il me viendrait le courage de le remercier de la confiance qu’il me manifesterait. Mais l’ongle incarné me rendit à la dure réalité.

 La nuit se faisait de plus en plus noire jusqu’au lever timide du tout premier cerne lumineux de la nouvelle lune, apparemment fatiguée elle aussi. Un long mois de paix se proposait sur Rome et les prêtres n’eurent de cesse de bénir les Dieux tout au long de cette nuit de victoire et de boisson. Ils les remerciaient de leur avoir inspiré l’idée excellente de bien verrouiller les portes de l’intérieur afin de protéger bassins et mosaïques sacrés. Au palais, les festivités avaient commencé bien avant l’arrivée de César et les cœurs débauchés confondaient volontiers les grappes de jeunes filles avec les corbeilles de fruits ou les coupes de ce doux vin abondement versé.

On le pense mais nul ne l’a jamais certifié, César donnait ce soir là un petit fils à Pompée dont le nom aurait été Vittorio Colapsus Undeplus.

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